Pierre Boulez

Cette personne at-elle pas d'images. Cliquez pour ajouter de nouveaux!
Date de naissance:
26.03.1925
Date de décès:
05.01.2016
Durée de vie:
90
PERSON_DAYS_FROM_BIRTH:
36200
PERSON_YEARS_FROM_BIRTH:
99
PERSON_DAYS_FROM_DEATH:
3042
PERSON_YEARS_FROM_DEATH:
8
Noms supplémentaires:
Pierre Boulez
Catégories:
Chef d'orchestre, Compositeur
Nationalité:
 français
Cimetière:
Réglez cimetière

Pierre Boulez, né le 26 mars 1925 à Montbrison (Loire), et mort le 5 janvier 2016 (à 90 ans) à Baden-Baden en Allemagne est un compositeur, pédagogue et chef d'orchestre français.

Il était une personnalité influente du paysage musical et intellectuel français contemporain.

Boulez apprenti

Il prend ses premiers cours de piano à l’âge de sept ans. Après des études secondaires au petit séminaire de Montbrison, l’institut Victor de Laprade, il est admis à Lyon en classe de mathématiques supérieures pour l’année scolaire 1941-1942 qu’il délaisse l’année suivante pour se préparer au concours du Conservatoire de Paris où il rentrera en 1943. En 1944, il étudie le contrepoint avec Andrée Vaurabourg et entre dans la classe d’harmonie d'Olivier Messiaen dont il finira par bouder les cours au printemps 1945 pour aller étudier le sérialisme avec René Leibowitz. Mais jugeant son enseignement trop rigide quant à l’application des techniques héritées de la seconde école de Vienne, il prend également ses distances avec ce dernier dès l'automne suivant et retrouve assez vite une complicité avec Messiaen : « Échanger Messiaen contre Leibowitz, c’était échanger la spontanéité créatrice, combinée avec la recherche incessante de nouveaux modes d’expression contre le manque total d’inspiration et la menace d’un académisme sclérosant » racontera-t-il plus tard à Antoine Goléa.

Il compose durant cette époque sa Première Sonate pour piano (1946) qui, plus encore que la Sonatine pour flûte et piano, effectue la synthèse des influences récentes du jeune compositeur. Puis se trouvent ses cantates Le Visage nuptial et Le soleil des eaux, appuyées sur des poèmes de René Char et souvent décrites comme sa période lyrique, ainsi que sa 2e sonate pour piano (1948) écrite à 23 ans, chef-d'œuvre du « premier Boulez », d’un lyrisme véhément prenant pour cadre le modèle de la sonate beethovénienne pour mieux le pulvériser en poussant plus loin l’exploration des techniques sérielles.

De la table rase au Marteau sans maître

Au début des années 1950, influencé par le « Mode de valeurs et d’intensités » d'Olivier Messiaen (1949), Boulez s’oriente vers un sérialisme généralisé à d'autres paramètres que les hauteurs dans Polyphonie X et surtout dans l'austère mais fondamental 1er livre des Structures dont l'aridité se fait source d'une sève nouvelle : dans cette œuvre pour deux pianos, il fait table rase de toutes réminiscences stylistiques et vise ce qu’il appelle une « pulvérisation furieuse de la continuité », cherchant d’abord à faire « cligner les oreilles » — y compris les siennes ! — pour ensuite reconquérir une symbiose nouvelle entre hauteurs, dynamiques et durées ; démarche similaire à celle d’un joueur de flipper d’abord confronté aux ricochets chaotiques des billes contre les obstacles — certes contraignants mais non moins ludiques — qu’il finit par apprivoiser par des actions bien senties pour en extraire un mode de jeu plus personnel. Au fil des trois sections et en quelque sorte des trois manches de cette œuvre, Boulez recherche un couplage progressivement plus fécond entre système et idée. Très critiqué sur cette œuvre, il fustigera alors autant les détracteurs du sérialisme que leurs épigones, les premiers baissant un peu vite les bras devant ce nouveau terrain de jeux tandis que les seconds, succombant au joies de la découverte, s’y abandonnent parfois jusqu’à une soumission excessive (d’où la brouille avec Leibowitz) sans toujours parvenir à transformer l’essai. « Le sérialisme classique, c’est vraiment… la castration ; quelque chose qui m’énerve profondément. J’ai parfois réagi très brutalement, quand, à tout bout de champ, on cherchait à imposer le chiffre douze sans avoir la curiosité d’aller plus loin. Ce qui importe, c’est d’avoir un chiffre modulable » se souvient Boulez.

Avec ses « Deux études » pour bande magnétique, Boulez poursuit sa quête d’un sérialisme plus généralisé en se livrant à des expériences au studio de musique concrète de Pierre Schaeffer mais l’entente avec ce dernier n’est pas aisée du fait de leurs préoccupations esthétiques radicalement opposées autant que le seront leurs ouvrages respectifs : Penser la musique aujourd'hui et le Traité des Objets Musicaux, qui n’œuvrent pas dans les mêmes sphères de l’écoute. Le musicien d’écriture qu’est Boulez préfère, comme ses prédécesseurs, compter sur sa forte personnalité pour combiner les sons et semble craindre dans les recherches de Schaeffer le risque de se laisser embobiner par des sons à la trop forte personnalité, « tout aimable qu'elle soit ». En effet, de même que la forme abstraite, très contrainte du 1er livre des Structures évoqué au paragraphe précédent se voyait prise en mains puis vivifiée par Boulez, ce dernier exige aussi de la matière sonore - instrumentale ou électroacoustique - qu’elle puisse se plier à sa volonté. « Je te raconterai toutes les engueulades que j’ai eues avec Schaeffer : ce serait matière à un énorme in folio ! » rapporte-t-il à John Cage en 1953 lors de leurs échanges épistolaires avant que la prise de conscience de leurs propres divergences esthétiques finisse elle aussi par avoir raison de leur amitié par-delà l’Atlantique.

À cette époque, la conviction qu’éprouve Boulez de se trouver à un tournant de l’histoire de la musique (tant au niveau des langages qu’en matière de technologies) s’affirme de plus en plus au travers de propos ou d’écrits pour le moins tranchés ou provocateurs, le compositeur ne ménageant pas davantage les partisans du dodécaphonisme que leurs adversaires :

Ainsi, dans l’article au titre assassin « Schönberg is dead » publié dans la revue anglaise The Score, Boulez porte un regard lucide mais très critique sur le père de la musique à douze sons, pourtant décédé depuis peu, lui reprochant d’avoir un langage certes novateur mais dont les ressorts intérieurs n’ont pas su se libérer suffisamment des amarres de la rhétorique classique, entraînant de ce fait des tensions contradictoires dans les éléments du discours musical. Puis dans un autre article titré « Éventuellement » paru dans la Revue Musicale, il déclare haut et fort que « Tout musicien qui n’a pas ressenti – nous ne disons pas compris, mais bien ressenti - la nécessité du langage dodécaphonique est INUTILE. Car toute son œuvre se place en deçà des nécessités de son époque ».

Dans ces écrits publiés respectivement en février et mai 1952 puis repris en 1966 dans ses Relevés d’apprenti, Boulez cherche surtout à « dissocier le phénomène sériel de l’œuvre de Schönberg » davantage qu’à rejeter en bloc l’héritage de ce dernier, dont il deviendra en fait un des plus brillants interprètes. Il y précise que la technique sérielle n'est pas un décret mais une constatation, un aboutissement historique plutôt que le postulat hasardeux que se plaisent à y voir les détracteurs. Son insistance sur l’adjectif « ressenti » (occulté il est vrai par le fortissimo des majuscules d’ « INUTILE »...) montre également qu’il a très tôt attaché de l’importance au fait perceptif. « Boulez était révolutionnaire mais partisan de l’évolution, et non pas de la révolution en soi » écrit Daniel Barenboim, interviewé dans le Chicago Sunday Times en mars 2005. Inspiré par Webern chez qui il admire la façon inédite de structurer l’espace sonore, de « le fibrer en quelque sorte » mais également séduit par le couplage hauteur/timbre au sein des pièces pour piano préparé de John Cage, Boulez tente lui aussi d'explorer de nouveaux modes combinatoires en synthétisant les apports de la seconde école de Vienne en matière d’atonalité à ceux de Stravinski et de Messiaen relatifs au rythme et au timbre. Composé en 1954, on peut considérer Le Marteau sans maître comme le fruit de toutes ces réflexions. Comme le rappelle le musicologue Célestin Deliège6, Boulez y fait usage d'une technique personnelle de multiplication de complexes sériels dont l’importance ira grandissante dans son évolution stylistique et qui lui permet d’allier cohérence interne et souplesse d'écriture, d’articuler la forme de l’intérieur plutôt que de la contraindre de l’extérieur comme pour le 1er livre des Structures. C'est également par ce procédé, sur lequel il reviendra dans Penser la musique aujourd'hui, qu'il repense et élargit les notions classiques d'accord ou de voix musicale et s'écarte davantage du style pointilliste et presque expérimental de Polyphonie X, pièce qu'il finira d'ailleurs par renier. Ainsi, la grande inter-dépendance des relations de hauteur, de rythme, de dynamique et de timbre font du Marteau sans maître - où il retrouve René Char - une œuvre emblématique, probablement l’une de ses plus achevées, des plus closes. Pourtant, l’imbrication complexe des neuf pièces qui la composent – sorte de « combinatoire supérieure » selon Boulez - évoque déjà l’image du labyrinthe dont il finira les années suivantes par rendre les parois plus amovibles avec la notion d’œuvre ouverte, apparemment aux antipodes de celle d’achèvement. Les percussions du Marteau sans maître semblent d’ailleurs parfois se souvenir des pizzicati de son Quatuor de 1949 qu’il rebaptisera Livre pour quatuor et dont les pièces peuvent être jouées ensemble ou séparément.

La période « ouverte »

En effet, en réaction aux techniques de composition aléatoire chez John Cage auquel il reproche, dans ses Relevés d’apprenti, l’usage peu contraignant d’un « hasard par inadvertance », Boulez introduit une part de hasard nettement plus contrôlé dans ses œuvres dès 1957 en laissant à l'interprète le choix d'interpréter ou non certains fragments, ou de changer leur ordonnance, se trouvant en cela une parenté d’inspiration avec Stéphane Mallarmé ; en particulier la typographie particulière du poème Un coup de dés jamais n'abolira le hasard ou la structure en feuillets mobiles du « Livre », ouvrage posthume dont Jacques Scherer avait publié les notes la même année. Mais c’est surtout son idée des complexes sériels et de leur capacité à autoriser tout un réseau d’enchaînements dans le temps même de l’écriture qui amena naturellement Boulez à faire usage de procédés similaires dans le temps même de l’interprétation. Sa 3e sonate pour piano constitue avec le Klavierstück XI de Stockhausen l’une des premières œuvres ouvertes. Avec son écriture en chausse-trappes et ses « attaques par en dessous » (comme les qualifie le musicologue Dominique Jameux), cette sonate semble vouloir sortir de ses gonds comme pour mieux faire sauter les verrous du langage sur lequel elle s’appuie. Elle se veut ainsi la plus anonyme possible, ne renvoyant qu'à elle-même et exige de son interprète à la fois précision et distanciation.

Boulez introduit également une dose d'aléatoire les cinq années suivantes – au cours desquelles il s’installe en Allemagne - dans son 2e livre des Structures ainsi que dans Pli selon pli, cycle de cinq pièces sur des poèmes de Mallarmé et aboutissement de cette période créatrice, bien qu'il en fera une révision dans les années 1980 en réduisant la part aléatoire et en remaniant profondément le 4e mouvement. Il s’y nourrit autant de Webern que de Debussy, trouvant dans leur style respectif un sens de l’ellipse, une synergie entre syntaxe instrumentale et structure musicale qui lui rappellent l’écriture mallarméenne : « adéquation parfaite du langage à la pensée, n'admettant aucune déperdition d'énergie », écrivait-il à propos du poète dans ses Relevés d’apprenti. À l'inverse de la 3e sonate qui vise l'anonymat, cette œuvre de grande envergure sous-titrée "portrait de Mallarmé" est parfois considérée, par la synthèse esthétique qu'elle incarne, comme un autoportrait du compositeur ; introduite par un violent accent tutti, la matière musicale s'y déploie par pans successifs - pli selon pli - à la manière d’un éventail auquel Boulez la compare parfois, dévoilant une texture sonore cernée de silences, ces derniers incarnant moins des pauses que des points de tension qui tiennent le discours en embuscade puis finissent, dans une dialectique étirement/rupture, par le précipiter vers sa fin abrupt. La trajectoire globale de l’œuvre s’apparente ainsi à « une dentelle [qui] s’abolit » (sonnet utilisé dans le mouvement central). Dans les nombreuses compositions où il fait appel à des poètes tels Stéphane Mallarmé, René Char ou E. E. Cummings, Boulez s’inspire autant du contenu que de la structure des poèmes, ces derniers irriguant le discours musical en même temps qu’ils sont comme phagocytés ou dissous par lui, « à la fois au centre et absent » de la composition, expression qu’aime à citer Boulez en paraphrasant Henri Michaux.

Durant toutes ces années 1950-60, il est un grand pédagogue, à Darmstadt, à la Musik Akademie de Bâle et à l'université de Harvard puis dans les années 1960-70, alors que son rôle de chef d’orchestre l’accapare de plus en plus, Boulez explore également de nouvelles pistes en matière de composition : dans Figures-Doubles-Prismes, il s’intéresse davantage à l’aspect spatial de l’orchestration en faisant voyager les accords de timbre d’un groupe d’instrumentistes à l’autre et dans Domaines ou Rituel in memoriam Bruno Maderna, il s’écarte nettement de la disposition frontale classique en projetant le discours musical dans l’espace de la représentation scénique ; démarche que le musicologue Philippe Albèra rapproche (dans l'Encyclopédie pour le XXIe siècle) de l’éclatement de l’écriture dans ses œuvres ouvertes, d’autant que ces deux pièces autorisent une certaine flexibilité au chef qui les dirige. On peut considérer Rituel comme l’œuvre la plus accessible mais aussi la plus jouée de Pierre Boulez, son « Boléro » en quelque sorte (mais dont les dernières mesures engendrent puis imposent le silence plutôt qu’un crescendo triomphateur).

Vers une musique plus organique

Durant cette même époque, il écrit Éclat/Multiples, œuvre charnière dont la 1re section « Éclat » avec ses instruments résonnants n’est pas sans rapport avec l’atmosphère éthérée et tendue de Pli selon pli ni même avec ses préoccupations aléatoires (le chef donnant l’ordre ou non d’exécuter telle ou telle partie instrumentale) tandis que le segment « Multiples » préfigure le style plus compact et plus effervescent des œuvres à venir. Cette partition illustre parfaitement les concepts chers à Boulez de « temps lisse » - libéré de la mesure, comme en apesanteur - et de « temps strié » - plus contraint sur le plan du rythme et de la forme - qui furent définis dès 1963 dans Penser la musique aujourd'hui puis souvent évoqués par la suite dans ses cours au Collège de France de 1976 à 1995. Ces notions sont indépendantes de celles d’atonalité ou de tonalité et peuvent même opérer simultanément sur des plans orchestraux différents. Elles rejoignent les préoccupations d'un Paul Klee auquel le compositeur consacra le livre Le pays fertile en 1989 et s’inscrivent dans sa volonté de trouver dans l’écriture des dimensions plus globales, plus à même d’assurer la fonction d’interface entre pensée musicale et médium instrumental ; avec pour corollaire l'instauration d'une relation plus organique, moins analytique entre le compositeur et ses interprètes. Ainsi, si les musiciens d’Éclat se doivent d’obéir dans l’instant à chaque signal de départ initié par le chef, ce dernier doit également composer dans un temps plus déployé avec les résonances qui fusent des instruments et qui le font finalement entrer dans la danse : on passe en somme d’une pensée qui forme à une forme qui pense. En assimilant une dimension libre dans sa structure plus organisée, cette pièce semble se nourrir d’elle-même et pousse d’ailleurs le musicologue Olivier Meston à se demander si Boulez a pensé la structure avant ou après la traduction sonore dont l’écoute ne serait que la partie visible de l’œuvre, telle la partie émergée d’un iceberg qui cacherait ses sources ; changement de paradigme qui s’accentue dans la section suivante de l’œuvre - le segment « Multiples » - qui voit sa forme comme embrasée par le feu qu’Éclat couvait sous sa glace : de façon pour le moins inattendu, Boulez précise avoir été influencé par le son des cornemuses dont le substrat mélodique se trouve progressivement dérangé par les ornementations, les « tortures » dit-il, que lui infligent les joueurs écossais. Dans ses cours au Collège de France8, il aborde plus généralement ces « dangereuses oscillations » ou ces « étranglements » entre objet et langage qui peuvent néanmoins être exploités afin de conduire à une « véritable radiographie à la fois de l’objet et du langage » ; loin d’être le remplissage d’un cadre formel préétabli, cette section invente en effet sa trajectoire, la mène à « l’inconnu par le RÈGLEMENT de tous les sens » en s’appuyant sur les ressorts internes de sa morphologie, quitte à ce que ces derniers la fassent sortir de ses rails. Un peu comme font des forces agissant de concert sur les infrastructures d’un édifice pour mieux le mettre en branle, parfois jusqu’à la rupture (au pont de Tacoma par exemple). Cette évolution du langage confère à Éclat/Multiples son « atmosphère vibratoire signalant comme l’essence même de la musique » écrit Dominique Jameux. Cette composition prolonge la pièce autonome Éclat et est considérée par son auteur comme une œuvre inachevée, en devenir, susceptible d’accueillir une 3e partie.

Cette manière qu'a Boulez de réviser ses pièces donne souvent l'impression d'un manque de sûreté dans l'acte compositionnel alors que c'est précisément de l'inverse qu'il s'agit. Lorsqu'il fait une nouvelle version, cela ne veut pas dire que l'ancienne est indigne d’intérêt mais qu'elle contient un potentiel de développement qu'il juge utile de (ou dommage de ne pas) poursuivre. On peut dire que le développement d’une œuvre (via l’interface pensée musicale/médium instrumental évoquée plus haut) est à l'image des mutations successives d’une cellule vivante (dont la membrane poreuse sert à échanger les informations biologiques entre milieu extérieur et noyau interne) et que chaque étape de développement s’apparente dans l’esprit de Boulez à une cellule entière et non pas simplement une ébauche. Autrement dit, l'avant ou l’avant-avant-dernière version de telle ou telle partition représentait déjà une œuvre en soi. Précisons néanmoins que cette cellule suscite moins la simple application d’un programme qu’elle ne le contrarie : « le malentendu qui nous guette et dont nous devons terriblement nous méfier, c’est de confondre composition et organisation » écrit en effet Boulez dans l'article « …Auprès et au loin » en 1954. « J'ai un tempérament qui essaie de fabriquer des règles pour avoir le plaisir de les détruire plus tard » confie-t-il également à Célestin Deliège dans Par volonté et par hasard. Ainsi, les contraintes liées aux langages dodécaphoniques, sériels, etc., incitent son imagination à prendre des chemins que peut-être elle n'aurait pas pris sans elles ; ce qui lui permet précisément de ne pas s'enfermer dans un système, c'est-à-dire de « traverser l'écran » pour faire allusion à l'article que le philosophe Michel Foucault écrivit en 1982 à propos du compositeur. Il se distingue, sur ce plan, de Stockhausen et de sa volonté de favoriser l’unité du discours en rattachant autant la structure musicale locale que globale à une seule idée sous-jacente qu’il qualifie de «  formule ». Cette faculté qu’a l’écriture chez Boulez de se nourrir d’elle-même, de façon « fruc-tueuse » pourrait-on dire, pour se développer au-delà d’un cadre formel préétabli lui fit rapprocher sa démarche du concept philosophique de «rhizome» défini en 1976 par Deleuze et Guattari. Répons, composé dans les années 1980, en est un très bon exemple et incarne un nouvel aboutissement dans son parcours esthétique : grâce à la grande complétude architectonique de ses dimensions harmoniques et thématiques (perceptible dès les premières mesures), cette œuvre souvent qualifiée de « spirale » par son auteur dispose de tous les atouts pour se déployer sans se disperser ; elle a connu de multiples extensions et a même donné naissance à deux pièces « satellites » intitulées Dérive 1 et Dérive 2, cette dernière ayant également connu plusieurs révisions. Dans la même logique, on peut citer également Incises, courte pièce pour piano dont l’extension pour ensemble instrumental donna Sur incises aux dimensions nettement plus vastes ou encore les Notations pour orchestre qui dérivent de ses notations pour piano de 1945 sans en être pour autant l’orchestration.

Le temps de l'Ircam et du Collège de France Du « principe de non-fixité » à la « perpétuelle ductilité »

Confirmant la cohérence de sa démarche, ce souci obsessionnel qu’a Boulez de ne pas vouloir s’enfermer, on le retrouve du reste dans sa conception des institutions telles que l'Ircam, lieu de recherche et de création musicales qu'il fonde en 1969 dans le cadre du centre Georges-Pompidou, ainsi que la Cité de la musique (à laquelle succède la Philharmonie de Paris en 2015), salle de concert dont il a influencé le projet vers une plus grande modularité (ce qu’il avait déjà tenté en vain lors de la construction de l’opéra Bastille) : dans les deux cas, il s’agit d’optimiser l’environnement technologique afin de ne pas étouffer ni circonscrire l’invention musicale et même de la stimuler en favorisant l’éclosion de nouveaux territoires esthétiques (à l’instar de l’ajout d’une 3e pédale lançant les bases du piano moderne au XIXe siècle). Ainsi, loin de mener à une impasse, l’antagonisme apparent entre l’idée de créer un « environnement » et la volonté de « ne rien circonscrire » pousse au contraire ces instituts à se reconfigurer sans cesse au gré des projets ou des concerts; des « œuvres architecturales ouvertes » en quelque sorte. Il n'est donc pas étonnant de retrouver cet intérêt boulezien pour les formes mobiles autant dans la structure en mosaïques toujours renouvelées de sa pièce ...explosante-fixe..., créée à New York en janvier 1973 puis retravaillée dans les départements de l’Ircam, que dans la façon dont il envisageait la fonction et l’imbrication de ces derniers la même année lors de la rédaction du Programme définitif de l’Institut, insistant, comme le rappelle Peter Szendy, sur « le principe de non-fixité, à savoir qu’une structure doit inéluctablement évoluer vers une autre ». Le 13 mai 1968, Boulez prononça à Bordeaux une conférence intitulée « Où en est-on ? » pour faire une mise au point sur la situation du monde de la musique classique et il y enviait celui des variétés qui échappe à la pesanteur des traditions et du répertoire : « Là, les instruments évoluent, par exemple les guitares électriques n’existaient pas il y a dix ans, et on en fabrique maintenant à la demande, et cet instrument lui-même évolue ». C’est un peu dans le même esprit - le rejet de toute forme de sclérose - qu’il avait exprimé sa colère en 1966 via les colonnes du nouvel observateur à propos de la réorganisation de la vie musicale française proposée par André Malraux puis, de façon plus anecdotique, qu’il avait ironiquement suggéré en 1967 à un journaliste du Spiegel sa volonté de « brûler les maisons d’opéra » avec en tête le souci d’y apporter un second souffle mais aussi d’en décloisonner le public.

En fait, derrière toutes ces considérations se trouve une question plus fondamentale qui a toujours intéressé Boulez : qu'est-ce au juste qu’une œuvre « achevée » ? Boulez ne considère pas ses partitions comme des reliques sacrées et les changements qu’il y opère sont moins des corrections que des approfondissements. Il a besoin de poursuivre sa quête intérieure, mais c'est aussi la partition qui lui renvoie des idées, dans un jeu de va-et-vient. Ainsi, la part "aléatoire" de la 3e sonate nous invite à en découvrir les différentes facettes comme on le ferait en marchant autour d’une statue : loin d'être induite par une incapacité à achever un discours musical, la forme ouverte représente plutôt un moyen d’en explorer toutes les potentialités en proposant à l'interprète différents parcours, chacun d'entre eux incarnant l'un des multiples visages d'une même Œuvre rêvée, rejoignant par là l'utopie du "Livre" Mallarméen. Quant à Dérive 2 et ses nombreuses bifurcations, elle semble puiser son énergie dans le fait de ne jamais trouver de point d'équilibre ou plutôt dans le plaisir qu'elle a de les fuir (au point qu’on pourrait rebaptiser l'œuvre « Dérive puissance 2 »…) mais elle n’est pas plus inachevée pour l’oreille que ne l’est un mobile de Calder pour la vue.

Ces deux formes représentent deux pôles de l’écriture boulezienne : d’un côté, l’aléatoire ou l'entropique contrôlé et de l’autre une forme de déterminisme « hors de contrôle », instable par nature car conçue pour accueillir « l'accident » cher au compositeur soucieux de révéler ainsi l'inconnu dans un objet - il résume cela par cette formule : « c'est l'imprévisible qui devient nécessité ». Ces deux formes duales, qui opéraient comme une conversion réciproque dans Éclat/Multiples, sont davantage couplées dans Répons où l'on assiste à une sorte de double régulation ; notamment dans son climax (environ au 3/4 de l’œuvre, après le palier central) qui semble renvoyer à cette « perpétuelle ductilité » évoquée par Boulez dans le chapitre « Entre ordre et chaos » des Leçons de musique et qui permet à l’écriture d’atteindre un rendement maximal. Un rendement également assuré via l’électronique - qui transforme le jeu des solistes autant qu’elle informe celui de l’ensemble - et dont le rôle médiateur prolonge en quelque sorte celui des résonances d’Éclat : libre à l’auditeur d’y percevoir l’écume du discours ou son ferment, c'est-à-dire de l'entendre comme une réminiscence de ce qui fut ou comme une prémonition de ce qui sera (sorte d'extension de la notion de leitmotiv). Pour évoquer Répons, Boulez a d’ailleurs coutume d’utiliser l’image du musée Guggenheim de New York dont l’architecture en hélice permet au visiteur d’apercevoir ce qu'il va voir de près au moment suivant, mais aussi ce qu'il vient de voir et qui est déjà loin. De façon plus générale, Boulez est très friand de ces dualités catégorielles, foyers d’articulation de son langage : ainsi, les agrégats des complexes sériels pouvant être, à la manière de l'éventail, soient plaqués verticalement sous forme d’accords ou soient déployés horizontalement en arpèges composés ; ou encore dans la Sonatine pour flûte et piano, la confrontation entre athématisme et thématisme, prémisse de ce qu’il qualifiera beaucoup plus tard d’écriture « amorphe » ou de « processus » en opposition à une écriture plus « morphe » ou « évènementielle ». L’efficacité d’un tel couplage rejoint ce que dira plus tard le mathématicien René Thom - fondateur de la théorie des catastrophes - à propos de l’unité dans l’œuvre d’art qui selon lui est à chercher moins dans l’exigence de stabilité que dans celle d’optimalité ; une optimalité qu’il compare à la lutte élémentaire pour la survie. Mais soulignons au passage que Boulez reste davantage influencé par les arts (par exemple l'image qu’il emprunte à Klee de l’assimilation réciproque du cercle et de la droite ou encore celle du promeneur et de son chien pour évoquer la « notion du mobile par rapport au fixe ») et que si sa formation mathématique l'a probablement aidé à formaliser sa pensée, c’est plutôt sa musique comme l’écrit Jonathan Goldman qui mériterait un jour d’alimenter la réflexion scientifique : qui sait si les termes d’« arrachement » et d’« incorporation » sur lesquels il insiste au Collège de France en pensant à la forme de Répons ne partagent pas quelque accointance avec la logique comportementale du prédateur et de sa proie souvent évoquée par René Thom... ou, quitte à courir trop de lièvres à la fois, avec les notions de décohérence et d’intrication chères à la mécanique quantique ! En vérité, à la suite de la rencontre de Boulez avec le mathématicien Alain Connes le 15 juin 2011 à l'Ircam lors du séminaire « la créativité en musique et en mathématiques », ce dernier pourtant très en verve n’ira pas jusqu’à rapprocher son idée selon laquelle « l’effervescence quantique [...] génère le passage du temps » de l’état permanent de variabilité servant de couple moteur au flux temporel de Répons - lui donnant son « régime de croisière » dirait Boulez. « Il est difficile d’accepter des correspondances trop explicites entre les faits scientifiques et artistiques » met en garde Célestin Deliège qui s’autorise néanmoins à voir dans l’introduction de Répons quelque chose comme un « big-bang d’où serait sortie l’œuvre ». « L’auditeur est bien libre de projeter sur l’œuvre les stratégies perceptives qu’il veut » souligne de son côté Jean-Jacques Nattiez (dans l'ouvrage collectif REPONS/BOULEZ) : tous les deux ont raison ! Et si on peut éventuellement voir dans la trajectoire de cette œuvre - qui allie les soubresauts de l’instant à la cohésion inébranlable de son parcours - quelque chose d’une lutte élémentaire pour la survie ou du phénomène d’émergence, on ne peut que s’étonner de l’exceptionnelle capacité de renouvellement du compositeur dont le Pli selon pli, par son atmosphère hantée, évoquait davantage une sorte d'énergie du vide ou un univers en gestation, qui « aurait pu naître »...

Les jalons de la perception Les trajectoires de l’« Idée »

Au risque, en paraphrasant Roland Barthes, de se laisser fasciner par « l’envers des choses », il est tentant d’opposer à la dialectique étirement/rupture évoquée schématiquement plus haut pour l’atmosphère tendue de Pli selon pli, celle d’attirance/capture qu’autoriseraient pour Répons les relations harmonie/timbre ou rythme/tempo dans leur façon d’émanciper ou de polariser le discours. Que ce soit dans l’une ou l’autre de ces œuvres, Boulez cherche autant à aimanter l’oreille qu’à hanter la mémoire de l’auditeur. Comme s’il voulait repousser les limites et faire son miel d’une sorte de principe d’incertitude conditionnant les perceptions absolue et relative (qui remplacent ici les mesures de position et de vitesse chères au physicien). On retrouve ces deux niveaux de perception - contemplative et structurelle – dans la peinture, par exemple à la vision des tableaux de Francis Bacon où sont comme amalgamés et représentés dans un même geste le sujet peint et l'idée intérieure que l'auteur s'en fait. Mais en musique, en particulier pour les formes inventant leur propre hiérarchie, la difficulté de se focaliser à la fois sur le son et sur le sens – sur le bel édifice et les pressentiments dirait René Char - nécessite selon Boulez d’opérer mentalement sur ces instants cumulés des réductions successives « un peu à la manière d’un boulier !» écrit-il dans « Entre ordre et chaos », « avant de pouvoir, tout simplement, « nous y reconnaître »» ajoute-t-il plus loin ; une opération qui n’est pas sans rappeler la notion de réduction du paquet d’ondes en physique quantique notamment dans son interprétation transactionnelle : ici, la subjectivité de l’écoute transforme la « cavalcade de présents qui passent » en une « ronde de passés qui se conservent » pourrait-on dire en reprenant les images de Deleuze; elle est tout aussi bien l’instrument de mesure que le siège de l’expérience. « Nous saisissons l’objet mais nous ne sommes pas sûrs de ne pas saisir un fantasme » concluait encore Boulez : naviguant entre l’évidence sonore et une matière musicale plus enfouie, l’auditeur est tantôt la proie de ce qu'il appelle précisément les « qualités de l’incertitude » (sans lesquelles l’œuvre serait trop simpliste), tantôt à l’affût de balises perceptives plus saillantes (sans lesquelles elle serait trop hermétique). Pour ces dernières, il évoque les notions de signal et d’enveloppe dont les caractères respectivement ponctuel et global circonscrivent le territoire de l’écoute, celui-ci devenant - au fil d’auditions dont le temps passe plus vite - la frontière perceptive de l’œuvre et le lieu de son véritable achèvement :

« Ecouter, réécouter l’œuvre - ce que le disque nous facilite à l’extrême – ce n’est pas exactement « s’y habituer », jusqu’à l’indifférence, la satiété ou l’allergie. C’est plutôt la connaître, la reconnaître, l’identifier, se l’identifier ; dépasser l'étrangeté, l'obscurité de la première approche pour se laisser gagner par un mystère fait à la fois d’évidence et d’inexpliqué » écrit Boulez en exergue des disques éditées dans l’ancienne collection Erato/EIC/Ircam où il enregistra par exemple les Funérailles de Brian Ferneyhough, compositeur rattaché au courant dit de la nouvelle complexité, mais aussi certaines œuvres de musique spectrale.

Si la dialectique de Répons peut être vue comme une alternative ou une réponse de Boulez, toujours curieux de son temps, à l’esthétique de l’école spectrale - parfois trop obnubilée selon lui par la quête du « plasma primordial » qui voudrait incarner comme un idéal de malléabilité du matériau sonore - son exploitation des techniques de l’instrument dans Anthèmes 2 semble faire écho aux préoccupations de Brian Ferneyhough qui recherche plutôt, en particulier dans ses pièces solistes, le degré ultime de malléabilité chez l’interprète ! Chez ce compositeur britannique connu pour la densité et la « précision presque maniaque » de son écriture – sorte de paquet d’ondes à elle seule... – c’est davantage l’instrumentiste qui se retrouve contraint d’opérer, au fil des répétitions, des réductions successives afin de faire « sienne » une concentration d’informations par nature difficile à saisir en totalité ; un instrumentiste qui pourrait d’ailleurs s’exclamer, en paraphrasant Boulez, « je décrypte l’objet mais je ne suis pas sûr de ne pas interpréter un fantasme » : la difficulté pour lui de gérer les transactions entre l’approche tactile et l’apport énergétique de ses mouvements - entre la table de dissection et la machine à coudre en somme - le confronte en effet à un principe d’incertitude de type position/impulsion où la cavalcade de ses gestes potentiels, à « l’écoute » de l’écriture ainsi interrogée, aspire à s’« imprimer » en figures. Ferneyhough semble repousser les limites de ce que Boulez appelle un phénomène de « bascule » décrit comme un moment ou un mouvement difficilement saisissable où la vision périphérique du texte fait que le passé et le futur enrobent et corroborent le présent pour mieux faire passer l’interprète d’une mémoire volontaire à une mémoire plus instinctive. En fait, l’interprète est autant la proie que le prédateur de la partition, celle-ci étant d'ailleurs considérée par Ferneyhough comme une prison d’invention (donnant son titre au cycle « Carceri d’invenzione»). Cette perpétuelle ductilité concrétisée ici au sein d’un faisceau de possibilités interprétatives fut assimilée au « rubato » par un Boulez mi-fasciné mi-ironique bien que s’interrogeant sur la capacité de l’exécutant à naviguer sans déperdition d’énergie ou de sens au sein d’une partition dont chaque bifurcation ou « moment ouvert » induit précisément une « déviation de l’interprétation » sous la forme d’un dérapage, contrôlé ou non contrôlé, de son geste. Étonnant en vérité ce parallélisme des démarches - voir ce jeu du chat et de la souris ! – entre les deux compositeurs. À la divergence de l’écoute qu'induit la musique de Boulez répond une convergence sur le geste, qualifiée de « collision », chez celle de Ferneyhough ; au « régime de croisière » recherché par un Boulez soucieux de « rendre justice à la trajectoire » dans la conduite de l’œuvre répond ce que Ferneyhough appelle une «  idéologie de l’expérience » qui vise à faire de l'interprète le « résonateur » de la partition. En associant dans Anthèmes 2, le violon et l’électronique en temps réel (via le suiveur de partition), Boulez crée pour ainsi dire un « hyper interprète » - « obéissant à la pensée » dirait Edgard Varèse. Dans cette pièce qui plus est jouée de mémoire dès sa création en 1997 par la violoniste Hae-Sun Kang, il réussit à composer des agrégats musicaux dont la nature intriquée ou « l’hypersémanticité », notamment dans la section précédent la coda finale, fait office de foyer de rayonnement et donne l’idée d’une musique qui va en somme plus vite que la musique, comme assimilée – mais peut-être devrions nous dire imaginée - avant même d’être consciemment perçue ; telle une image subliminale pour l’auditeur dans l’esprit duquel il s’agit de lever les obstacles et de gagner la partie.

L’idée de « trajectoire »

En fait, ce qui a été dit pour l’écoute de l’œuvre vaut également pour celle du timbre instrumental : elle aussi est une synthèse réductive de diverses perceptions absolues et relatives liées aux paramètres plus quantifiables que sont la hauteur, l’intensité et la durée, d’où la difficulté de trouver une définition objective de cette catégorie qualifiée « d’ordre second » par le Boulez de Penser la musique aujourd’hui et dont Pierre Schaeffer disait qu’elle était « une variation musicale assouplissant et compensant une permanence causale ». Dans cette cohabitation parfois difficile du sensible et de l’intelligible, il est intéressant ici d’opposer, ou plutôt de rapprocher dos à dos, le 1er livre des Structures de Boulez, qui sature la mémoire en faisant comme dit plus haut « cligner les oreilles », et La noire à soixante de Pierre Henry qui semble, via par exemple ses fragments de métronome, clamer le présent et opérer comme un vidage mémoire (pour ne pas dire un lavage de marteaux…) en déconditionnant l’oreille: que ce soit par un excès de variation musicale dans l’écriture ou par un déficit de permanence causale dans le montage, ces œuvres « limites » commencent chacune à leur manière par une « table rase » pour aboutir finalement à une reconquête du discours chez Boulez ou de la vie du son chez Henry. Curieusement, on retrouve inversées ces attitudes dans l’aménagement intérieur de leur demeure respective : la « maison » de Pierre Henry - presque un musée - est chargée de mémoire tandis que celle de Boulez à Baden-Baden ne comporte volontairement « rien d’historique », comme pour fuir « un air qui a déjà été expiré » et mieux se libérer du connu… Contrairement à sa pièce pour deux pianos où la structure musicale règne en maître face à un matériau sonore relativement neutre, c’est la texture sonore que la pièce d’Henry impose face à une structure musicale réduite au minimum ; une « structure de non sens » dirait d’ailleurs Boulez mais dont le matériau « sait très bien se faire entendre » pourrait ajouter de son côté Michel ChionNote 21, tant les rapports du temps au matériau sonore y sont comme inversés. Dans son Journal de mes sons, Pierre henry en parle comme d’un « parcours dans l’espace ». Difficile d'y percevoir une idée de trajectoire globale - c’est d’ailleurs l’intérêt de cette pièce que d’échapper à toute forme de prédictibilité - alors qu'il n'est pas impossible d'en repérer une dans chacune des 3 pièces des Structures ; y compris dans l’aspect « mécaniste » de la première que l'on peut entendre dans le souvenir de l’écriture plus évènementielle des deux suivantes et qui fait que Boulez songea un temps appeler cette première pièce « À la limite du pays fertile » en référence à Klee. Ce titre, qui conviendrait pour des raisons inverses à la pièce d’Henry, fut d’ailleurs repris pour un article de 1955 où Boulez s’interroge sur les rapports possibles entre le domaine instrumental et le domaine électronique : « Serait-on jamais capable d’imaginer une synthèse où les contradictions des deux univers sonores seraient mises en jeu pour un élargissement des structures sensibles ? » s’interroge-t-il. Il reviendra à plusieurs reprises sur ces questions au Collège de France où il évoque la nécessité de placer « entre le domaine réel, discontinu du monde instrumental, et l’éventuel domaine continu du monde électronique […] les jalons de la perception ». Dans son livre sur Klee, Boulez reproduit également une esquisse du peintre intitulée fusion intime de l’individu et de la structure qui incarne en somme son désir d’explorer le cœur du pays fertile : celui où la musique est autant l’art de combiner des émissions sonores que celui de sonoriser une combinatoire. Ce qu’il appelle également dans ses Leçons « susciter son matériau en phase ». De par sa conception, le matériau propre au domaine instrumental ou informatique vise en quelque sorte à faire le lien entre la nature quantifiée et discontinue des informations qui lui servent d'entrées et celle plus continue - car traitant autant des sons que des silences – de l’écoute dont on peut dire, en s’inspirant du neurobiologiste Jean-Pierre Changeux qu’elle est « en permanence spontanément active ». Une écoute qui « doit – devrait ! – être captivée d’un bout à l’autre de la trajectoire » insiste Boulez même si celui-ci estime également que « la forme doit pouvoir dévier de sa trajectoire prévue pour découvrir des territoires qui n’étaient pas programmés ». Ferneyhough lui donnerait d’ailleurs raison sur ce point, lui qui considère dans son esthétique que « la forme n’est pas seulement la perception d’une cohérence linéaire, mais aussi cet enregistrement physique d’évènements que le compositeur n’aurait pu produire d’aucune autre manière » et qui, plus récemment dans Les froissements d’ailes de Gabriel, n’est pas si éloigné – du point de vue de l’auditeur - de la démarche d'un Pierre Henry dans La noire à soixante : chaque fragment efface le précédent.

Le psychologue Albert Bregman souligne bien la complexité que requiert pour le cerveau ce travail de regroupement en une entité perceptive autonome  : « les flux perçus ont certainement une structure hiérarchique permettant que deux instruments aux sons distincts soient séparés à un premier niveau de hiérarchie et réunis à un niveau supérieur dans un « flux d’ensemble », tandis qu’un bruit de toux par exemple se détache de ces deux niveaux ». C’est précisément dans ce « flux d’ensemble » que réside l’idée de trajectoire.

Avant de se matérialiser dans l’esprit de l’auditeur, celle-ci relève-t-elle davantage de l’écriture ou de l’interprétation ? « Comment s’y prendre pour faire assimiler aux autres une forme que l’on a soi-même assimilée ? » s’interroge d'ailleurs le compositeur-chef d’orchestre. L'enregistrement peu convaincant selon lui qu’a fait Igor Stravinsky de ses propres œuvres – pourtant probablement convaincu lui-même d’en avoir perçu la trajectoire- semble suggérer l’aspect en partie subjectif et intuitif de cette notion qui se retrouve également dans celle de démonstration mathématique : « une constellation de signes, noir sur blanc, ne deviendra, par exemple, une démonstration de non contradiction que pour un esprit qui sache la lire comme telle » écrit Robert Blanché dans l’Axiomatique. Jean-Jacques Nattiez voit comme une « utopie » cette idée d’une communication totalement transparente entre le stade de l’écriture et celui de sa réception par l’auditeur et précise que « le poïétique n’a pas vocation à la communication ». Cette perception ou non, pour une exécution musicale donnée, d'une trajectoire - dont Boulez souligne la virtualité dès Penser la musique aujourd’hui - ne serait-elle pas semblable à ce caractère indécidable de l’hypothèse du continu qui, simplement dit, nous empêche de statuer sur la question de l’existence ou non d’infinis de taille intermédiaire entre l’infini dénombrable et l’infini continu ?

L'envoûtement collectif

« Au juste nous ne le savons pas » répondrait peut-être, à l'interrogation précédente, Antonin Artaud, ainsi qu’il le proposa en guise de premier élément de réponse à une série de questions dans son poème radiophonique Pour en finir avec le jugement de dieu, comme par exemple « qu’est-ce que l’infini ? ». Interprétant le texte du poète avec des accents de tragédienne, Paule Thévenin poursuit : « c’est un mot dont nous nous servons pour indiquer l’ouverture de notre conscience vers la possibilité démesurée, inlassable et démesurée ». Il est curieux que ce passage énoncé par Paule Thévenin, qui assista avec Boulez vers 1948 à une conférence en privé sur Antonin Artaud, rappelle de loin en loin la conclusion « toute provisoire et soumise au doute » du dernier cours de Boulez au Collège de France intitulé «  L’œuvre : tout ou fragment » : « n’aurait de réalité que le fragment, le tout n’étant qu’une illusion sans cesse renaissante et sans cesse poursuivi ». Concernant l’assimilation des fragments de l’œuvre dans un tout cohérent, Boulez y précise qu’elle « reste le but à la fois du compositeur, de l’interprète et de l’auditeur ». Dans le texte « Propositions » daté de 1948, Boulez écrit justement que « la musique doit être hystérie et envoûtement collectifs, violemment actuels – suivant la direction d’Artaud ». Il est manifeste que si une œuvre musicale réussit un tel envoûtement, la perception intégrale de sa trajectoire sera tellement ancrée dans les esprits qu’elle aura du mal à s’en défaire : il y aura en effet un effort à fournir par l’auditeur ou par l’interprète s’ils veulent rompre avec une habitude d’écoute ou un style de jeu. Inversement, pour une œuvre dont nous ne sommes pas encore familier et dont la perception n’est pas encore claire, il n’est pas rare que ce soit précisément au cours d’une écoute inattentive, fragmentaire que l’on entrevoit mieux ne serait-ce que des bribes de sa trajectoire ; à l’image du phénomène d’illumination précédant la cristallisation d’une idée et qui se produit parfois lorsqu’un mathématicien commence à percevoir la solution d’un problème précisément en procédant « à côté » plutôt que de s’y attaquer frontalement, comme le précise Alain Connes lors de son dialogue avec Jean-Pierre Changeux ; les deux scientifiques s’accordant sur cette façon de capturer le « sens nouveau » qu’incarne tout objet culturel inédit via un état de conscience qui s’apparente à un « nouveau sens ». Cela rejoint les propos de Boulez - et on sent également le directeur de l’Ircam qui parle - lorsqu’il énonce : « on n’établira jamais la limite entre perception et spéculation, et c’est une des obligations du compositeur que de la refuser comme telle ».

L'écoute flottante, dérivée du phénomène brute, s'oppose à l'écoute «  intégrale » dont parle Boulez (qui use lui-même des guillemets en pensant probablement à la notion mathématique) pour laquelle l'auditeur, armé d'une connaissance plus approfondie de l'œuvre, devient capable de se clipper sur « l’hyperréalité » cachée derrière la réalité sonore, c’est-à-dire de vivre la musique intérieurement comme s'il pouvait naviguer à loisir dans la peau de chacun des interprètes. De son côté, ce sont les signes essentiellement discontinues de la partition que ces derniers intègrent afin de restituer dans l’espace acoustique la cosmogonie intérieure du compositeur.

Que ce soit chez l’auditeur découvrant une œuvre ou chez l’interprète en butte à une nouvelle partition, on retrouve cette volonté de « sortir l’œuvre du chaos où elle se trouve » lors de l’impression première afin d’en mieux saisir l’objet au fil des intégrations successives, à savoir les auditions chez l’auditeur ou les répétitions chez l’interprète. D'une certaine manière, un parcours similaire concerne le compositeur : d’abord en proie, selon l’auteur des "Leçons", à une figure « sauvage » et à l’« esprit du temps » – c’est-à-dire à la fois au noyau de l’œuvre future et à son environnement culturel, deux parties qui « ne peuvent exister qu’ensemble » – il cherche à clarifier cette situation confuse au fil des esquisses successives : une symbolisation (sur papier et/ou sur ordinateur) qui s'apparente alors à une opération de réduction ; cette capacité à « broyer les données historiques » pour créer les conditions nouvelles de l’expression n'ayant rien d'une « sublime dictée », souligne d'ailleurs Boulez. De même que chaque interprète ou chaque chef imprime sa marque lors de toute exécution, c’est en somme sa personnalité et son originalité que le compositeur fait passer dans cette mise en ordre de l'imaginaire. « Il prend et il projette » résume Jean-Pierre Changeux en appliquant cette formule autant pour le compositeur que pour l’interprète ou l’auditeur. À tel point que l’on peut reprendre, pour ces trois stades, le propos de Boulez concernant le premier travail de défrichage opéré par le chef face à ses musiciens : « Bien sûr, il y aura nombre d’impressions oubliées ou ressenties. L’exactitude n’est pas le but de cette opération, seulement une sorte de vision d’ensemble, aussi floue soit-elle ». Notons qu'à l'issue de son travail d’intégration, l'auditeur apporte lui aussi sa personnalité. Et son interprétation de la musique entendue évolue parfois jusqu’au stade de l’« affabulation » que Boulez trouve dans un certain sens « rassurant » : « le plus souvent, à partir du nombre de fragments que sa mémoire a pu saisir, il constitue une véritable histoire formelle qui lui appartient en propre, qui devient sa propriété de l’œuvre ».

Où est l’œuvre en définitive si l’on songe que des interprétations différentes et teintées d’individualisme peuvent chacune lui être « fidèle » ? Pour le musicien d’écriture qu’est Boulez, c’est dans « l’immanence » de la partition qu’elle se situe. À côté de celle-ci, l’œuvre jouée est considérée comme un « document » qui ne doit surtout pas être sacralisé. Boulez porte d’ailleurs un regard très critique sur les tenants de l’authenticité qui tendent à imposer une vision figée de l’œuvre : « on plaque notre mentalité de conservation et de restitution sur une époque et sur des hommes qui possédaient avant tout la vertu du mouvement » déplore-t-il ainsi.

Les fragments du discours Le délire organisé

Artaud fera pressentir à Boulez l’idée qu’il vaut mieux « organiser le délire », comme il l’écrivit en 1958 dans la conclusion de son article « Son et verbe », plutôt que de céder aux seuls vertiges de l’improvisation. Celle-ci se doit d’être « irruption (Einbruch) dans la musique d’une dimension libre » écrivait encore le compositeur. Tout en faisant corps avec l’instrument, la difficulté pour tout improvisateur est justement de procéder « à côté » des modèles que sa mémoire tient en réserve afin de mieux y accueillir un évènement nouveau, ce qui revient en somme à transmettre une musique dont il n’a pas encore totalement connaissance en réalisant in vivo cette dialectique de l’arrachement et de l’incorporation évoquée plus haut : exercice aussi délicat que le serait, pour les volatiles de Paul Klee, de tenter quelque improvisation en tournant eux-mêmes la manivelle de la Machine à gazouiller qui leur sert de perchoir!… Sans compter le risque ou le malentendu de se voir applaudir pour la performance physique davantage que pour une musique alors « en proie à l’équilibre le plus instable », pour reprendre le mot de Paul Valéry. Il n’est en effet pas toujours aisé, pour l’auditeur, de se glisser dans la peau de celui qui tente précisément d’échapper à ses propres mécanismes. On comprend alors mieux le scepticisme de Boulez, parfois bien affirmé dans ses Leçons, quant à la réussite d’une telle entreprise qui est davantage le fait du compositeur face à sa propre imagination : « sur le plan de la création, je vis dans une espèce de plasma qui me permet de me déplacer en glissant d'avant en arrière. Je reste dans une même chose et j'irradie dans plusieurs directions à la fois » confie Boulez. Celui-ci, qui a plus d’une fois prouvé, au vu de ses écrits et via « une analyse permanente et autarcique de sa propre pensée », qu’il savait faire montre d’un regard extérieur sur son propre travail, considère que la réflexion peut se trouver dans l’improvisation mais que cela nécessite une « transe critique » ; une telle expression, introduite par un « si je puis dire », semble calquée, inconsciemment ou non, sur le « tremblement inspiré » dont parlait Artaud vers la fin de son poème radiophonique dans une sorte de dialogue avec lui-même : pour libérer l’homme de tous ses automatismes, ce dernier propose de lui donner un « corps sans organes » afin qu’il réapprenne à « danser à l’envers ». Cette notion énigmatique, qui inspira Deleuze et Guattari, est également reprise par Bruno Fern dans son livre sur Keiji Haino où il évoque la capacité qu’a ce musicien japonais, dans une esthétique certes très éloignée de celle d'un Boulez, de « déplacer les organes pour leur permettre de sécréter à nouveau » ou de faire preuve d’une « conscience dans le tourment » qui fait de son être « l’interface émotionnelle et combattante qu’est un chaman ». Lorsqu’il tourne la manivelle de sa vielle à roue, Keiji Haino explore son instrument mais semble en retour « audité » par les volutes musicales qu’il en extirpe ; telle la « machine qui s’entretient elle-même » dont parlait Roland Barthes, le musicien cherchant ainsi à trouver puis à extraire ce qu’il appelle le « deepest now ». Quand bien même cette musique serait retranscrite sur partition qu’il serait difficile pour un autre interprète de la reproduire sans passer à côté de l’essentiel, à savoir une attention aiguë portée, par ce musicien-chanteur, au « labyrinthe de ses tubes internes » : d’une certaine manière, il en est le « résonateur » pour reprendre le terme de Ferneyhough cité prédemment. Lui aussi d’ailleurs semble vouloir insuffler à sa musique, mais via la partition, une dimension viscérale que la tradition classique occidentale à tendance à évacuer. « Une zone majeure d’organisation de l’œuvre a lieu chez l’exécutant lui-même » explique le compositeur britannique : « il ne fait pas que rendre la composition, dans un sens bien précis, il en engendre réellement la manifestation finale ».

C’est de nouveau Roland Barthes qui vient ici à l’esprit : « Le plaisir du texte, c’est ce moment où mon corps va suivre ses propres idées - car mon corps n'a pas les mêmes idées que moi ». Lorsque la musique repose sur l'interprète, ou lorsque le geste du compositeur est « partagé » dirait Boulez, l'exécution nécessite de savoir cultiver une forme de « lâcher prise » mais sans lâcher « sa » prise, c'est-à-dire sans perdre de vue l'objet du discours, sa trajectoire : c'est toute la difficulté de l'entreprise. Nous ne sommes pas loin des contraintes de la jonglerie, un art où l'improvisation est tout aussi délicate et qui fut étudié par Claude Shannon, à l’origine de la théorie de l’information. Précisons que le concept d’information, trop souvent réduit à l’univers du numérique ou du discontinu, se retrouve rangé par René Thom dans sa « boîte de Pandore des concepts flous ». Le Boulez des Leçons, davantage que celui de Penser la musique aujourd'hui, semble faire un même sort au concept d’écriture : « aussi précis et déterminant semble-t-il de loin, autant lorsqu’on s’en approche, paraît-il insaisissable, difficile, voire impossible à cerner ». Il est intéressant ici de préciser ce que Boulez écrit de façon plus général sur les symboles de la partition : « les signes ne représentent guère le continu que par des approximations utiles mais grossières » estime-t-il en citant les notions de glissando, d’accelerando, de crescendo etc... avant d’ajouter que celles-ci sont « les plus vagues et en même temps les plus riches, car elles permettent justement de dévier ». À propos des limites de la chose écrite, il ajoute : « elle ne transmet qu’une part de l’invention […] Il faut accepter qu’il y a des catégories non négligeables, voire essentielles, qui échappent à la notation »; ou encore : « Il faut reconnaître que l’évolution de notre musique occidentale peut, de plus en plus, se résumer à un conflit entre langage et individu, entre moyens collectifs de communiquer et moyens individuels de se décrire, entre exprimer et s’exprimer ».

Bien que définitivement fixée sur la partition, son œuvre Sur incises paraît pourtant presque improvisée, « la plus libre » estime-t-il, aux antipodes de son Livre pour quatuor à cordes considéré par Dominique Jameux comme la pièce « la plus fermée » de son auteur. Écrite pour 3 pianos, 3 harpes et 3 percussions, cette œuvre « extériorise l’âme du piano », déployant devant l’auditeur les « entrailles » de cet instrument qui se retrouve alors avec ses organes à l’extérieur ; meilleur moyen pour Boulez de mettre en relief l’univers qu’il a d’abord imaginé mentalement, hors de toute concrétisation sonore et temporelle : « l’écriture, c’est savoir projeter, dans l’absolu, les relations qu’entretiennent entre eux des phénomènes déréalisés » écrit l’auteur des Leçons ; cette notion de « déréalisation » étant comparable au concept de déterritorialisation crée par Deleuze et Guattari, en liaison avec celui du corps-sans-organes. Dans À la limite du pays fertile, Boulez voyait déjà l’orchestration non comme un « vêtement » mais comme « le phénomène sonore dans sa totale manifestation ». Bien que très élaborée, l’écriture de Sur incises fait songer aux propos rapportés par John Sloboda dans L’esprit musicien concernant les conditions d'une improvisation réussie, ce sentiment que chaque geste « se livre aux sons » et que « de bonnes notes se trouvent partout sous la main, juste sous les doigts ». Boulez y saisit la matière sonore à bras-le-corps mais cherche surtout à la faire « miroiter », ce qui lui fait comparer la gestation de cette œuvre avec une scène célèbre de La Dame de Shanghai d'Orson Welles. En laissant sa chance au matériau, l’écriture en épouse les contours et fait songer à l’image empruntée à Diderot de « la vieille robe de chambre » dont Boulez vante les mérites; image donnée par le compositeur pour qui l’écriture, lorsqu’elle est moins adaptée, « mannequine » l’idée. Nous sommes loin ici de la période de « cilice » qu’il évoque à propos du style de ses jeunes années en faisant allusion au vêtement que l’on s’inflige en signe de pénitence : « Laurent, serrez ma haire avec ma discipline ! » rapporte Boulez à Changeux en citant cette fois-ci le Tartuffe de Molière. C’est davantage au Livre pour quatuor que l’on songe ici : vu son écriture exigeante, « quasiment injouable » telle qu’écrite à l’origine, les formations qui jouent cette œuvre « l’adaptent plus ou moins ». Ce Livre, qu’il vaut mieux découvrir par mouvements séparés, impose une grande tension à l’écoute qui se retrouve comme prise en étau et nous fait passer de moments austères – presque « rigides » nous dit Boulez - à d’autres, plus flexibles mais néanmoins sur le fil du rasoir. Avec son extrême diversité de situations, ses accélérations, ses pizzicati très « secs » et ses gestes d’évitement - évitement du souvenir du quatuor de Webern et plus encore de la tonalité ! - l’atmosphère est celle d’un combat à fleurets mouchetés exigeant des exécutants une forme olympique, surtout si l’on se souvient, dans ce sport, des câbles flexibles bien que constamment retendus, fermement attachés dans le dos des joueurs et servant à comptabiliser les points… En 1967, le jeune Ferneyhough reprendra le flambeau de cette « discipline » dans ses Sonates pour quatuor à cordes, tout en tâchant à son tour d’éviter le souvenir de Boulez en relâchant un peu la bride du discours.

Il est possible de poursuivre la métaphore vestimentaire en rapport à la personnalité même de Boulez : si face à sa musique, y compris celle du Livre pour quatuor, plusieurs écoutes suffisent à aller au-delà d’une première impression, il semble qu’il soit difficile, même après plusieurs entrevues, de dépasser la façade du personnage dans le sens où l’image de l’homme public fait totalement écran à celle de l’homme privé, comme si le premier servait de cuirasse, de « vêtement » au second : « nous avons eu des relations affables, voire conviviales, où l’affectif n’apparaissait pas sous la courtoisie » se remémore ainsi Jean-Claude Casadesus; « l’homme privé est tout simplement inaccessible », « il est aussi très discret sur lui-même et sur sa vie en général » rapportent les membres du Quatuor Diotima. Mais soulignons que Boulez n’est pas pour autant avare d’interviews, qu’il ne fuit pas les photographes, ni les caméras et qu’il n’est donc pas de ceux qui cultivent le mystère autour de leur personne (c’est plutôt dans sa musique qu’il espère échapper à l’analyse). Lorsqu’il subit des attaques, il lui arrive aussi de pratiquer ce qu’il appelle la « politique de l’édredon », rapporte-t-il à Claude Samuel : « car elle déçoit l’agresseur, il tape tant qu’il veut sans résultats ». Mais il peut à l'inverse sortir ses griffes : dans l’émission de Bernard Pivot du 13 février 1993, face à l’ancien directeur de la musique Michel Schneider, il n'hésitera pas à protéger ses « bébés », l’Ircam, l'Ensemble intercontemporain, la Cité de la Musique, quitte à donner l’impression de « monter la garde ». Quoique qu’il en soit, si tous ceux qui ont travaillé avec lui – mais pas contre lui ! - font état de sa générosité et de sa disponibilité, il y a chez Pierre Boulez, et en pensant cette fois à Citizen Kane, un côté « NO TRESPASSING ».

« Cuisine à l’eau & cuisine au feu » : deux types d’imagination

Tout compositeur a le désir d'être original, d'écrire de l’inentendu, et ce, malgré un matériau qui impose d’emblée une certaine inertie : les instruments, la grammaire induite par leur éventuelle tablature et les contraintes corporelles que ces éléments exigent des exécutants circonscrivent en effet ce que l’on pourrait appeler, en terme plus physique, un espace de configuration au sein duquel le compositeur doit trouver son chemin ; et si possible en évitant ce que Messiaen appelait le « pas entendu », c’est-à-dire l’incapacité d’imaginer comment sonne dans la réalité une musique inventée sur le papier. Ce terrain de jeux autorise certes toutes sortes d’esthétiques : y sont possibles, pour le piano, les trois sonates de Boulez autant que les Trois morceaux en forme de poire d'Erik Satie, et même des types d’écriture plus périphériques : plus bruités comme la musique souvent qualifiée de « concrète instrumentale » d’Helmut Lachenmann, ou plus silencieuse comme les 4′33″ de John Cage, une pièce qui puise l'essentiel de son information dans son titre... L’adjonction d’une source informative tel que l’ordinateur permet bien sûr d’élargir cet espace, comme dans Pluton du compositeur Philippe Manoury, tombé très tôt dans la « marmite » électronique. Néanmoins, un musicien comme Pierre Henry se plaindrait peut-être de ne pas y trouver son piano « à l’envers » - celui d’Une missive, par exemple : bien que d’un spectre similaire à celui du piano normal, ce piano temporellement inversé suggère qu'il existe, dans l'univers sonore, des matières inaccessibles à la main, qui échappent à nos instruments... Au sein de l’espace instrument-instrumentiste, qui englobe aussi le rôle joué par l’environnement, c’est en effet la mise en jeu des paramètres, leur « description » dirait le compositeur, qui détermine les phases de la structure musicale ; une mise en jeu qui s’opère via l’entrelacement des informations respectivement énergétiques et tactiles – pour ainsi dire réelles et imaginaires - transmises par les gestes et sans lesquelles il n’y aurait plus que silence ou bruit. Des informations également « non commutatives » pourrait même ajouter Alain Connes, à l’origine de la géométrie du même nom : il est vrai en effet que le fait de boucher tels ou tels trous d’une cornemuse avant de souffler dans le tuyau n’engendre pas le même phénomène que de d’abord souffler dans le tuyau puis de boucher les trous... Boulez n’a évidemment guère besoin du mathématicien pour faire un usage parfois subtil de telles propriétés, par exemple dans le recours à l’utilisation de la troisième pédale et de l’accord muet dans la cadence de piano qui introduit Éclat. Plus généralement, le geste tactile n’a pas d’autre vocation que de changer la nature du corps sur lequel il s’applique, ou du milieu dans lequel il opère. Il n’est donc pas directement sonore – seule l’énergie fait le son - mais nécessite quand même un certain temps dont tout compositeur se doit de tenir compte : en effet, cela peut vite devenir un frein - une friction - lors des tempos rapides. Dans Anthèmes 2, Boulez réduit en quelque sorte ce temps à zéro via l’usage de l’informatique qui s’aligne sur le geste de l’interprète. Nous retrouvons, dans cette non commutativité des dimensions gestuelles, le cœur du pays fertile, à savoir la nuance féconde entre combiner des sons et sonoriser une combinatoire.

Ces deux modes d’écriture constituent selon Boulez « deux types d’imagination », l’une - « en réalité » - basée sur une virtuosité d’écriture instrumentale, partant des caractéristiques acoustiques, et l’autre - « hors réalité » - basée sur une virtuosité d’écriture plus conceptuelle, précédant la concrétisation sonore. Deux types d’invention pour lesquelles « il ne faudrait surtout pas établir d'ordre hiérarchique » insiste-t-il, l’important pour lui étant d’éviter la « contradiction entre substance et fonction » et de « résoudre le conflit entre le réel et le virtuel ». On pense au terme de « friction » qu’utilisait également Carl von Clausewitz pour distinguer la « guerre sur le papier », encore abstraite, de la « guerre réelle » et son cortège d'imprévus. C’est là où le terrain de jeux se transforme en champ de bataille. « Il y a un conflit permanent et très intéressant entre la richesse du son et son élaboration, son intégration dans une texture » explique encore Boulez dans Les Neurones enchantés. Ces virtuosités d'écriture rappellent un peu la différence entre les modes de diffusion de la télévision et du cinéma : d’un côté, un balayage de pixels fait de l’écran un foyer de lumière qui concrétise l’aspect de surface de l’œuvre - son « vêtement » - qui peut éblouir mais aussi aveugler ; de l’autre, un projecteur situé dans notre dos - « au centre et absent » en quelque sorte - fait de l’écran un puits de lumière que l’on balaie du regard pour en cerner « l’hyperréalité ». En musique, on retrouve réunies ces deux types de sollicitation. D'un côté, nous voulons embrasser l’œuvre, en la vivant intérieurement, mais aussi prendre plaisir à ce qu’elle nous embrasse, voire à ce qu’elle nous embrase. Dans son adaptation du Purgatoire de Dante, François Bayle résume bien ce dilemme lorsqu’il fait dire au narrateur face à « l’Ange-feu » ces mots presque contradictoires : « son aspect m’avait fait perdre la vue ». À l’auditeur de s’arranger de cette situation d’inconfort. « Car, s’approchant près de ce qu’il désire, Notre intellect se perd en tel abîme, Que la mémoire derrière ne peut suivre » écrivait encore Dante au début de son Paradis. La musique n’est pas « une sorte d’alphabet supérieur » écrit Boulez : pour se faire entendre, « la composition a le devoir de vêtir sa nudité » rappelle-t-il, mais cette nécessaire parure instrumentale se doit ensuite d’être analysable et analysée par l’écoute. Même si elle incarne « le phénomène sonore dans sa totale manifestation », même si elle est dotée d’une « matérialité sensible » – pour reprendre une expression du compositeur Emmanuel Nunes concernant ses "Lichtung" - la musique vivante ne peut clamer d’elle-même le résultat d’une telle analyse, sauf à réduire cette dernière à une simple image descriptive qui consisterait par exemple à ne voir dans La mer de Debussy que l’évocation d’un simple paysage. Cette problématique est similaire à ce qu’écrivait Barthes dans La chambre claire à propos de la photo : « elle ne sait dire ce qu’elle donne à voir ». Être ébloui par l’aspect de surface de l‘œuvre est une chose ; pouvoir lire son « hyperréalité », c’est-à-dire en quelque sorte dans ses « pensées », en est une autre. C’est ce que Boulez appelait, à l’époque de Poésie pour pouvoir, une « dualité de position », un concept qu’il creusera plus efficacement dans bon nombre de ces œuvres ultérieures et en particulier dans Répons. Dans son dialogue avec Changeux, il précise que « quand la structure est saturée, il n’est pas possible de la percevoir. Ou alors, au contraire, on ne voit qu’elle » avant d’ajouter plus loin « j’ai fait une œuvre où l ’on écoute seulement les sons », trahissant par là son goût pour une certaine transparence dans l’écriture mais aussi sa préférence pour les structures musicales innervées par le son - même aux limites de la saturation - plutôt que pour les schémas simplement « farcis » d’évènements sonores et qui n'ont que l'apparence de la complexité. On trouve dans Répons (en particulier dans le segment qui précède le palier introduisant le climax) un tel degré de concentration musicale où le mental de l’auditeur se voit pleinement sollicité, tout invité qu’il est à suivre l’objet de la composition alors que la matière sonore qui en émane finit peu à peu par faire barrage au devenir même du discours (d’où un palier qui s’impose naturellement à la fin de ce segment de l’œuvre). Le courant dit des « musiques saturées » jouera avec ce pouvoir qu’a parfois le matériau de faire barrage, voire écran au discours. Citons par exemple les trois leçons du Professor bad trip de Fausto Romitelli où, nous disent les notes du livret cd, « la musique ne se développe pas : elle s’aggrave ».

Pour évoquer ces deux moments propres à la conception abstraite et à la prévision plus concrète de l’écriture – deux moments « hors réalité » et « en réalité » qu’il tient à distinguer - Boulez utilise les images de « cuisine à l’eau » et de « cuisine au feu », des images similaires mais moins guerrières que celles de Clausewitz. Et malgré son expérience et son passage chez Messiaen, il lui arrive de se laisser surprendre par l’inadéquation de ce qu’il entend par rapport à ce qu’il avait imaginé. Ainsi, lors de la création de la première version de Dérive 2 : « des staccatos qui venaient en périodique par rapport à des sons liés donnaient quelque chose de tout à fait… comique ! Cela produisait un effet sonore chaotique, mais extrêmement rigide. Je n’avais pas prévu cette alliance de chaos et de rigueur au moment ou je l’écrivais » rapporte-t-il à Jean-Pierre Changeux. Lors de sa Masterclass de 2009 au Conservatoire de Paris, Boulez conseilla à l’un des élèves, apprenti à la direction, de se laisser envahir par la sonorité : « le chef, ça donne mais ça reçoit ; et tant que vous ne recevez pas, vous ne pouvez pas donner ». On mesure la difficulté de l’exercice car le même Boulez considère par ailleurs que « si l’interprète se laisse submerger par l’émotion, il ne la transmet plus ». Sur ce dernier point, il n'est pas certain que Brian Ferneyhough lui donne raison : ses partitions noircies de symboles, qui mettent à l'épreuve les capacités mentales et musculaires, font que ça n’est pas tant la musique que les interprètes qui se retrouvent en état de saturation, voire de ruissellement... De sorte qu’il y a chez ce compositeur - qui aime utiliser, concernant son esthétique, l'image de la vague qui se brise sur les rochers - une sorte de porosité ou d’ambiguïté entre la structure abstraite de l’œuvre et son aspect de surface : « Mais quel mystère s'était donc passé sous l'eau, pour qu'une longue trace de sang s'aperçût à travers les vagues ? » s’interrogerait Lautréamont qui semble de nouveau vouloir s’imposer ici.

Le « noyau infracassable de nuit »

Tout au long de sa carrière, Boulez – et en cela, il est très « classique » - préférera toujours œuvrer au centre plutôt qu'à la périphérie du médium instrumental tout en attachant plus d'importance dans « le renouvellement des façons de pensée et d'écrire la musique ». Les rares écarts qu’il s’autorise font généralement office de signaux : par exemple, dans Sur incises où le timbre du steel-drum se voit parfois expulsé de la matière sonore du discours tout en étant parfaitement serti dedans. Un effet similaire se retrouve également avant la coda du Dialogue de l’ombre double où la clarinette, elle-même déréalisée par un dispositif électronique, semble s’épanouir en un « couac » qui n’a curieusement rien d’une fausse note et n’empêche pas l’œuvre de courir vers sa fin comme si de rien n’était. Par rapport à leur environnement immédiat, ces effets tendent à chosifier la musique, à la « désabstractifier » pourrait dire Boulez, de sorte qu'elle devient dans ces moments-là d’une vérité en quelque sorte plus criante. Ces procédés sont une forme d’illustration de l’expression « faire gicler le phonème lorsque le mot n’en peut plus » qu’inspirèrent à Boulez les cris d’Artaud dans « Son et verbe ». Un musicien-chanteur comme Haino donne parfois l’impression, en particulier dans ses « Blackness », de se laisser surprendre par ses propres cris en même temps qu’il cherche à en prendre le contrôle. Il ne s’agit pas pour lui de crier « quelque chose » mais c’est précisément cette absence d’information, ce « pas quelque chose » qui revêt les atours du cri que l’on aurait alors tort d’assimiler à un « n’importe quoi ». Étant son premier spectateur, Keiji Haino s’écoute crier comme s’il était étranger à lui-même. Nous sommes ici dans une sorte de Préhistoire de l’écriture ou d’art brute, un peu comme pour les sons de La noire à soixante chez Henry : il semble d’ailleurs que Keiji Haino - qui a déjà enregistré dans une grotte - ait cette capacité de faire le vide en lui comme pour y ménager une « structure d’accueil », telle qu’évoquée plus haut pour La noire à soixante. Dans ces pièces, et en paraphrasant Roland Barthes, « nul réserve, nul magasin de sens, tout est dans le « jeté » » dans la mesure où ce qui interpelle l’oreille réside moins ici dans la richesse d’une écriture que dans le caractère unique, difficile à refaire de l’exécution. Les cris proférés, derrière ses lunettes noires, par le « corps avec organes » de Haino passent également par une expérience de « dés-organisation » - pas vraiment comparable à la forme par trop généreuse de « déconstructuration » parfois fustigée par Boulez chez les improvisateurs – mais que l’on peut rapprocher dos à dos de la recherche de l’anonymat chez le compositeur : ce dernier n’hésite pas à « racler le fond de lui-même » afin de porter le regard le plus objectif – avec ou sans lunette ! – à la source la plus profonde de son inspiration, son « noyau de nuit » écrit-il en 1963 dont il espère ainsi défaire les nœuds ; ou « défaire le je » pour reprendre une autre expression des Fragments d'un discours amoureux. « L’imagination, sortie de cette épreuve du feu, aura moins à redouter des fantômes qui tentent de l’assaillir » ajoute le compositeur. Mais c’est évidemment par l’écriture – cuisine à froid - davantage qu’à la manière d’un chaman que Boulez a tout le loisir de s’engager dans cette « expérience continue du vide devenu positif » que doit réaliser selon lui tout musicien désireux de se renouveler; désireux d’atteindre ce qu’il appelle le « troisième état » : celui où la pensée musicale, devenue hautement individuelle, creuse au plus profond de l’intuition pour s’élargir à des dimensions encore inconnues, insoupçonnées. Chez Haino, c’est au fil d’une même prestation (comme celle pour vielle évoquée plus haut) que l’on trouve également une métamorphose : dans un premier temps, il pilote son instrument et cherche sa route tandis que dans une dernière phase, et bien qu’il tienne la barre, il ne navigue plus tout à fait dans les mêmes eaux et semble davantage « embarqué ». Il y a chez Haino, dans son rapport aux gestes et à l’instrument, comme chez Boulez, dans son rapport à l’écriture et à l’histoire, la quête d’un état particulier qui peut être rapproché de celui d’Artaud lorsqu’il évoque son bonheur d’être « séparé », là où d’autres « tournent encore autour de leur cadavre ». Et ça n’est certes pas en actionnant une manivelle mais en prenant appui sur les deux pôles de sa pensée - le « désir de rationalité » et la « rationalité du désir » - que Boulez voit son esprit « accomplir sa rotation » : façon pour lui de s’engager dans l’œuvre tout en gardant une distance par rapport à elle ; façon pour lui de se regarder penser ; d’être à la fois lui-même et le visiteur de lui-même. Même la courte pièce Improvisé - pour le Dr. Kalmus donne ainsi cette impression d’un Boulez qui chasse l’autre. Deleuze va dans le même sens lorsqu’il définit le style comme le fait d’« être comme un étranger dans sa propre langue ». Pourtant, dans cette dépersonnalisation, « tout porte, tout rend l’effet maximum » écrit, en citant le Artaud du Théâtre et son double , Philippe Albèra dans son article sur Pli selon pli. Dans un passage du mouvement « Tombeau » qui clôt cette œuvre, Boulez pousse également très loin la densité de l’écriture. Dans une des esquisses, il précise ses objectifs : « Il faut que l’espace se peuple peu à peu de son, et qu’on sente l’angoisse monter sous l’effet de trop plein […] les murs doivent vibrer ». Sous forme de boutade, l’auditeur attentif pourrait dire qu’il est « empli » par la musique de Boulez tandis qu’il est parfois littéralement « vidé » par celle de Haino! À tel point que ce sont ses propres tubes internes que cette section de Pli selon pli semble dilater en s’achevant ici par un silence « assourdissant » ; ou par une « absorption du son par le silence » évoque encore Boulez : tout le contraire d’un cri ! Quitte encore à transgresser les frontières, nous avons en sommes un silence « qui déchire » à l’image du Big Rip des cosmologistes… On pourrait d'ailleurs emprunter à l’un d’entre eux – Roger Penrose – l’expression de « connexion à l’infini » pour qualifier la transition périlleuse, pour ainsi dire sans filet, qui sépare la coda finale d'un tel silence. L’œuvre pourrait presque s’arrêter là.

Comme pour (ne pas) conclure Un « monde des Idées » musical ?

À propos de l’univers mathématique, Roger Penrose écrit : « j'imagine que chaque fois que l'esprit perçoit une idée mathématique, il prend contact avec le monde platonicien des idées […] Quand nous « voyons » une idée mathématique, notre conscience pénètre dans ce monde des idées et prend directement contact avec lui » ; une opinion partagée par Alain Connes, qui voit dans sa science une « quête du vrai » et croit en une certaine préexistence du monde mathématique, mise en doute par Jean-Pierre Changeux dans Matière à pensée. Qu’en est-il pour cet autre aventure de l’esprit, cette quête de l’inentendu qu’est la musique ?

« Notre sensibilité désire appréhender quelque chose de neuf tout en ne sachant pas encore comment l’aborder » précise Boulez ajoutant qu’« elle ne sait pas par où elle va passer, ni surtout où elle va aboutir ». Ces formulations donnent le sentiment que ce « quelque chose de neuf » préexiste déjà potentiellement quelque part. Nous ne parlons évidemment pas des détails de l’œuvre à venir mais des portes que celle-ci cherche à ouvrir pour s’accomplir. Par exemple, en écrivant le « Mode de valeurs et d’intensités », Messiaen entrebâille une porte, fournissant à Stockhausen et à Boulez une piste, une « clef » écrit ce dernier, qui leur permettront de définir puis d’entrer davantage dans l’univers de la série généralisée vis-à-vis duquel le mode de Messiaen devient le cas particulier d’une partie alors encore inexplorée de la géographie musicale. « Ce qui est extrêmement important pour moi, c’est de réaliser le côté inéluctable des œuvres écrites par les prédécesseurs historiques, de constater qu’après certaines œuvres, il est strictement impossible d’écrire comme avant, que ces œuvres ne peuvent vous toucher seulement comme des accidents personnels, mais comme de véritables cataclysmes géologiques qui ont changé entièrement la configuration de la pensée musicale » précise encore le compositeur au Collège de France. Là aussi, son insistance sur le caractère inéluctable des œuvres les plus déterminantes suggèrerait presque la préexistence de voies de recherche, voire de places à prendre, comme ce sommet de « la même montagne » évoqué par Stockhausen dans un courrier à Boulez à l'époque de la forme ouverte et auquel ils aboutiront l’un et l’autre par des « côtés opposés » concrétisés par le Klavierstück XI de l’allemand et la 3e sonate du français. C’est cette convergence de démarche, réalisée sans concertation via des modalités distinctes, qui suggère la préexistence non pas des œuvres écrites mais du territoire qu’elles balisent peu à peu, et ce avant qu’une nouvelle investigation pousse plus loin l’exploration : c’est souvent « la recherche de la solution d’un problème d’écriture qui va amener à une autre forme d’expression » explique encore Boulez au Collège de France. Et il réitère des propos similaires face à Changeux : « l’écriture musicale oblige à trouver, à inventer. Elle décompose un matériau et, par là même, incite au développement et à la transformation […] L’écriture pose des problèmes et l’on est obligé de trouver des solutions ». Si le cheminement de pensée du mathématicien, dans sa quête du vrai, cherche à créer des ponts entre différents domaines, celui du compositeur, dans sa quête de l’inentendu, s’efforce davantage de couper le cordon avec ses prédécesseurs ; mais chez l’un comme chez l’autre, l’écriture est autant un outil de communication que d’investigation et dans la pratique, c’est la richesse des conséquences - propres à l’ajout ou à la modification de tel ou tel axiome ou au déplacement voire à « la mise à mort » de telle ou telle convention musicale - qui guide et détermine leur choix respectif.

Une idée d'un monde : l’intuition

Qu’en est-il alors de cette figure « sauvage » qu’incarne parfois le moment initial de l’inspiration ou plus généralement de cette « surprise d’un court-circuit inattendu » propre à l’intuition ? Boulez souligne d’abord « qu’elle n’appartient à rien » ou « qu’elle nous est donnée » puis il ajoute – et c’est son côté pragmatique - qu’elle est probablement conséquence d’un « cheminement souterrain » lié aux influences, à la mémoire, à l'époque, etc... c'est-à-dire à « l'esprit du temps ». Sa personnalité et son goût pour la « déduction » - ce mot apparaît du reste près d’une centaine de fois dans les Leçons - le pousse à croire à ce « cheminement souterrain ». Il se distingue, sur ce plan, de Stockhausen qui, dans la seconde partie de sa carrière, cultivait l’image du compositeur « récepteur » ; attitude qui peut faire sourire mais qu’il ne faudrait pas rapprocher du cliché du « compositeur-Dieu » fustigé par Boulez, en rapport avec la « sublime dictée » déjà évoquée par ailleurs et pour laquelle c’est la mémoire qui mène la barque bien davantage qu’une réelle intuition. Boulez ne sous-estime évidemment pas le rôle de cette dernière : « la sélectivité intuitive est le seul instrument d’analyse qui puisse être productif, car elle est la seule qui permette, par des réactions imprévisibles, de tirer des conclusions personnelles inévitables » écrit-il. Une sélectivité qui s’avère efficace autant au niveau locale d’une œuvre, lorsqu’il s’agit de débusquer « LA » solution face à une problématique de développement, que dans la vision globale de l’histoire de la musique où il souligne l’importance de « posséder, par une intuition aiguë, l’état présent », ce qui passe par « le don de se saisir de la situation et de la « voir » dans sa totalité ». Peut-être faut-il voir alors dans ce « court circuit inattendu » s’abattant sur la pensée d’un compositeur comme Boulez, à qui il arrive de parler du cerveau comme d’un « puissant moyen de mesure », une sorte d’analogue mental de l’effet Larsen : un effet qui consiste à « trouver l’endroit où le son va se donner à vous » écrit Pierre Henry dans son Journal de mes sons. Confrontée à l’histoire de son art, cet « esprit du temps » qui confère au passé une certaine « présence », la sensibilité du compositeur fait en quelque sorte office de niveau d’entrée de cet instrument d’analyse qu’est l’intuition ; une intuition dont il parle également comme d’un « coup de sonde dans l’œuvre à venir » ou comme d’« une sorte de détonateur », un moyen d'avoir la bonne disposition d’esprit pour que l’inentendu se donne à la conscience : « l’ajustement et la détermination s’accomplissent au coup par coup, selon une directivité recherchée ou en soudain accord fortuit » précise-t-il alors, armé non pas d’un micro mais de la seule vigilance de sa pensée. Puisant dans la littérature pour étayer ses arguments, il reprend ce mot de Char - « comment vivre sans inconnu devant soi ? » – pour souligner l’attrait qu’exerce l’idée d’un univers musical irrésolu, dont le potentiel attend d’être exploité : « si on savait où va l’histoire, quel ennui féroce ! ». Il cite également Le soulier de satin de Paul Claudel et en appelle à « cette voix qui essaye de me faire entendre l’inconnu et qui ne réussit pas à dire en ordre ce qu’elle veut, mais ce qu’elle ne veut pas me plait aussi ! ».

Curieusement, cette voix qui ne sait pas « dire en ordre ce qu’elle veut » évoque au sens propre celle - pas tout à fait pensée, et pas tout à fait chantée - émise dans sa grotte par le Keiji Haino d’Un autre chemin vers l’Ultime lors d’une prestation très en marge de sa production habituelle ; une « marge qui justifie les lignes de la page » pourrait-on dire en paraphrasant Boulez auquel il est d’ailleurs possible d’emprunter le terme de « sans surveillance » relatif à la musique non évènementielle pour qualifier ici la pensée comme sur « pause » de Haino dont l’organe vocal semble vouloir suivre ses propres idées. La communion qui s’établit entre la respiration du japonais et l’atmosphère ambiante apparaît comme la face opposée de cette « osmose permanente » qui existe selon Boulez entre la pensée individuelle de tout compositeur et l’histoire collective dans laquelle elle baigne. Si, dans sa grotte et comme centrée sur le présent, la pensée de Haino rappelle, en citant Gérard de Nerval, celle d« un pur esprit [qui] s’accroît sous l’écorce des pierres ! », c’est peut-être armé de la « bêche sidérale » d’un René Char - celle qui ouvre son Visage nuptial - que Boulez évoque, concernant le rapport entre la création et la mémoire, ce « jeu des racines qui font éclater la pierre, l’organique détruisant le minéral ».

Le contrôle de l’univers Instrumentation et démonstration

Ces thèmes de l’écriture et de l’intuition furent abordés lors du séminaire « la créativité en musique et en mathématiques » avec Alain Connes, notamment au travers de la figure de Grothendieck, un mathématicien qui ouvra de nombreuses portes, refondant des pans entiers des mathématiques dans un esprit de généralité maximale que l’on peut qualifier d’« abstrait absolu », terme qu’utilisa Boulez lui-même - en craignant d’effrayer le lecteur - pour qualifier sa propre démarche dans Penser la musique aujourd’hui. Grothendieck est notamment à l’origine de la notion de topos qui peut être vu comme un espace où se déploie une logique, contradictoire ou non, et dont il parle comme d’un « lit où viennent s’épouser le monde du continu et celui des structures discontinues, discrètes ». Il s’interrogea autant sur sa communauté - aventure collective ou individuelle ? – que sur la méditation, influencé un temps par Jiddu Krishnamurti. « Qu’est-ce qui perçoit ce qui est hors du temps ? » demandait le penseur indien, s’interrogeant lui aussi sur cet étrange instrument de mesure qu’est le cerveau qui « a évolué dans le temps, est pris dans le temps ». Une anecdote rapportée par Alain Connes lors du séminaire semble aller dans le sens d’une dualité possible entre mathématique et musique : « il m’est arrivé d’écouter des œuvres musicales relativement courtes mais qui avait un sens qui cadrait avec une espèce d’intuition mathématique que je ne pouvais pas traduire par des mots » relate ce dernier.

Bien que croyant, comme Alain Connes, en une certaine réalité du monde mathématique, René Thom se rapproche davantage de Changeux lorsqu’il précise, à propos de ce monde, qu’« il nous faut le recréer sans cesse dans notre conscience, l’y reconstruire en permanence ». Voyant dans l’intuition le lieu où réside « l’ultima ratio » de sa foi en la vérité d’un théorème et considérant la rigueur comme une propriété fondamentalement locale du raisonnement mathématique, il a cette formule qui laisse songeur : « il n’y a pas de définition rigoureuse de la rigueur ». Peut-être serait-il alors pertinent de rapprocher musique et mathématique, malgré tout ce qui les distingue, par les écueils que ces deux aventures de la pensée se doivent d’éviter, en l’occurrence l’erreur de raisonnement. Celle-ci correspondrait, côté musique, au phénomène du « pas entendu » ; ce moment où l’interprétation, pourtant fidèle à la partition, refuse ne serait-ce qu’un instant d’endosser le revêtement sonore qu’on lui propose et ne confirme pas l’écoute intérieure du compositeur. Celui-ci doit alors revoir sa copie, soit en imaginant une autre instrumentation – en quelque sorte une autre démonstration - soit en renonçant à l’objet musical convoité qui, confisqué à notre écoute, reste alors à l’état de conjecture. À titre indicatif, cette façon de voir les choses, liée à l’intérêt de Boulez pour la possibilité de « description » des objets musicaux, se rapproche du constructivisme en mathématique. « Lorsque l’intention et la réalisation coïncident, plus que de plaisir, je parlerais d’une vérification de la validité de l’œuvre d’art et d’une satisfaction profonde de la réussite » estime-t-il dans les Neurones enchantés ; propos qui rejoignent ceux de Changeux dans L’homme neuronal : « pour décider si une proposition logique, combinaison d’objets mentaux, est vraie ou fausse, il faut la soumettre à « l’épreuve du réel » » écrit-il en substance en citant le Tractatus de Wittgenstein. Sous cet angle-là, les « figures » de Ferneyhough - par le « fantasme » qu’elles cherchent à saisir et leur façon, en paraphrasant Barthes, de « résister à la description » ou de faire « trembler le langage » - font moins appel à une interprétation de type « constructive » : le compositeur britannique - qui dit aimer cultiver « un certain degré d’ambiguïté quant à la limite précise entre « intérieur » et « extérieur » » - semble vouloir déléguer une part de son intuition à l’interprète qui, face aux difficultés de la partition se retrouve souvent happé par une « surprise d’exécution ». Les éléments tels que « l’accident » ou « LA » solution qui, chez Boulez, sont des moments débusqués « hors réalité » face à cet outil de découverte qu’est la partition en cours d’écriture, Ferneyhough aspire à les faire émerger « en réalité » par les « surprises d’exécution » qu’induit la partition achevée. « Rationaliser cette surcharge [...] ce serait n’avoir rien compris » explique-t-il. Chez lui, la fidélité au texte passe par une infidélité à la lettre : « à la fois moment critique de l’œuvre et manifestation de sa vérité » écrit à juste titre Philippe Albèra. Cette demande, de la part de Ferneyhough, de ne pas rationaliser de tels moments critiques est à rapprocher de l’application que met Haino, dans ses « Blackness », à ne pas faire de son cri l’objet d’un calcul : son cri n’est pas précédé par l’idée de crier. Attitude que l’on retrouve curieusement jusque dans le discours de Krishnamurti : « lorsque je parle, mes paroles explosent ; elles ne sont pas tenues en réserve pour être prononcées » s’exclame-t-il par exemple devant ses interlocuteurs. Il reviendra souvent, au cours de sa vie, sur l’importance d’unir idée et action, leur séparation pouvant être source de désordre. « Je ne pense que très rarement à l’avance » explique de son côté Boulez interrogé par Gérard Akoka : « l’idée n’existe pas avant d’avoir pris conscience de ses possibilités de réalisation ». Malgré son scepticisme, déjà mentionné, quant à la possibilité d’une coïncidence absolue entre Idée et Réalisation - « fusion idéale, le temps d’un éclair… » - nul doute que Boulez a su également doter son geste créateur d’une certaine forme de rapacité, celle-ci faisant défaut à Polyphonie X où il disait échouer à « penser sensiblement la musique » et à faire se rejoindre « muscle et cerveau »

La tendance de Ferneyhough à la surcharge de l’écriture incarne un cas extrême de l’« écriture tremplin » dont parle Boulez à propos de l’usage de canevas dans le jazz ou la musique baroque : la partition se retrouve chez ce compositeur avec une maille on ne peut plus serrée, ses interprètes voyant alors « l’horizon de leur mémoire se refermer autour d’eux ». Aux antipodes d’une telle démarche se trouve le dispositif employé par Stockhausen dans Aus den Sieben Tagen, une pièce où la maille du canevas s’élargit au point de disparaître, les interprètes étant invités à réaliser une musique intuitive en essayant de trouver un « état de NON-PENSÉE ». Mais ces derniers peuvent-ils atteindre cette état de « pause » si leur pensée se concentre précisément sur un tel ordre ? Il y a là comme un hiatus qui rendra sceptique un Boulez qui trouve que les musiciens ne font finalement que puiser dans leur mémoire.

Le problème de la forme

S’il est une mémoire à laquelle tient Boulez, c’est ce que l’on pourrait appeler la « mémoire de forme » de l’œuvre elle-même. En effet, indépendamment du degré d’ouverture que la partition autorise et quel que soit le gauchissement imprimé au texte par les musiciens, l’ œuvre doit rester valide et identifiable sur la totalité de ses parcours possibles, chacun d’entre eux pouvant être vu comme un représentant de la « classe » incarnée par l’immanence de la partition : sont ainsi exclues de cette classe - notion utilisée ici de façon informelle - toute interprétation qui dépasserait les limites significatives de l’Œuvre rêvée par l’auteur : « le phrasé marque en quelque sorte la limite des zones de responsabilité » rapporte Boulez au Collège de France ; souvent évoquée, cette notion importante de « responsabilité » souligne la fonction que se doit d’assumer chaque élément par rapport à son environnement proche ou lointain. L’erreur d’interprétation sera celle qui manquera pour ainsi dire de « classe » en s’écartant trop d’une telle zone. C’est pourquoi, pour éviter tout évanouissement de sens, « le geste du compositeur est indispensable, devant prévoir sinon tous les enchaînements de fragments, mais au moins les champs de jonction, la trajectoire éventuelle ou probable qui les organise en tout » écrit Boulez, soucieux d’assurer la robustesse de l’œuvre, y compris lorsque l’espace musical qu’elle déploie est laissé en partie à l’initiative des interprètes ou de la machine. Dans Par volonté et par hasard, il précise que le fait de déléguer une part de créativité, loin de traduire une démission du compositeur, nécessite au contraire pour ce dernier une « surpuissance » de travail. C’est seulement par ce travail de démiurge, ou de « sémiurge » pour citer un néologisme de René Thom, qu’il pourra mériter le titre de compositeur-dieu… Ce qu’il s’agit de sauvegarder, c’est une « relation utérine » entre écriture et architecture, comme celle que Boulez admire chez Bach ou comme on la trouve par exemple dans la « forme-métamorphose » d’Éclat/Multiples. « Il s’agit d’écrire une musique qui garde la mémoire de ce dont elle est faite » propose Philippe Manoury. L’« atmosphère vibratoire » attribuée à cette œuvre par Dominique Jameux et qui se retrouve dans la trajectoire inébranlable de Répons prend sa source autant dans la notion boulezienne d’« aura » que dans celle de « formants » : ces derniers permettent à une échelle globale « d’établir un ordre sans imposer une contrainte ». Dans ses Leçons, Boulez abandonne ce vocable au profit des termes d’« infra-écriture » ou d’« enveloppe ». Quant à l’« aura », qu’il propose pour généraliser l’idée d’appoggiature ou celle d’hétérophonie, elle est « un moyen efficace de lutter contre l’inflexibilité et l’exiguïté d’un système » et autorise certains éléments du discours à s’écarter du flux général propre à la trajectoire pour mieux l’émanciper et la magnifier ; l’« aura » se rapproche de la « variation sur une structure existante » que tout compositeur débutant applique à ses prédécesseurs, hormis qu’ici, le compositeur devenu plus expérimenté l’applique à sa propre musique et par des moyens pensés sur le moment même ; son imagination est fortement mobilisée par cette « extension d’une solution » qui est en somme sa façon à lui de faire trembler le langage.

Nimbée de son immanence, l’Œuvre est alors une superposition complexe de « possibles », à la fois portés par la grille de la partition et pilotés par les interprètes – qui peuvent y glisser leur liberté -, et au sein de laquelle l’auditeur est inviter à naviguer via cette écoute « intégrale » dont il a déjà été question ; une écoute qui lui fait percevoir un temps horizontal « plus quelque chose » écrit un Boulez inspiré par la dimension « diagonale » de l’écriture chez Webern et qui revient ici différemment à l'idée d'écriture d'une « hyperréalité ». Déjà, en musique classique - notamment en fin de phrase – l’écriture nous incite parfois à porter notre attention tantôt sur la note montante de l’accord tout en rejetant la note descendante à l’arrière plan, tantôt l’inverse. Un tel accord apparaît comme un complexe sonore traduisant, de la part du compositeur, le refus de privilégier un choix au détriment d’un autre ; à l’image du trouble ressenti face à l’ambiguïté des faces avant/arrière du cube de Necker. Boulez pousse beaucoup plus loin ce principe : par exemple, chacun des agrégats comme intriqués d’Anthèmes 2 prend l’aspect d’un objet sonore « impossible » comme peu l’être le triangle de Penrose à la vision duquel la perception ne peut que naviguer. Le compositeur corrobore ce qu’il écrivait en 1954 dans « …Auprès et au loin » et nous fait voir « l’œuvre comme une suite de refus au milieu de tant de probabilités ». Aussi, est-ce encore à la mécanique quantique que l’on songe ici via les notions d’intégrale de chemin de Richard Feynman selon laquelle toute particule , pour aller d’un point à un autre doit pouvoir emprunter tous les chemins possibles dans l’espace des configurations ; ou via celle d’onde pilote de Louis de Broglie et David Bohm. Et qui sait si la notion mathématique de forcing qui consiste à étendre la base d'un système axiomatique, n’a pas à voir avec cette volonté d'« extension d’une solution » pour faire trembler le langage. « Il semble que l’on puisse, sans crainte de gratuité, songer à la théorie des ensembles, à la relativité, à la théorie « quantique », dès que l’on prend contact avec un univers sonore défini par le principe sériel » écrivait-il dans le même article pour conforter sa propre démarche. Ces procédés généraux, qui ne se veulent pas spécifiques à sa musique, s’insèrent dans l’écriture ou la gouverne de l’extérieur. Ils font que la structure musicale est habitable autant qu’habitée : elle incorpore en filigrane son propre « arbre généalogique » de sorte que l’auditeur ayant déjà appris à « s’y reconnaître » verra plus facilement l’œuvre se rappeler à sa mémoire dès lors qu’il en percevra simplement un fragment ; et elle porte aussi en filigrane la « chance » de l’interprète qui pourra alors se raccrocher aux branches de l’arbre, voire agiter le tronc… Le but est d’aller « vers cette conjonction suprême avec la probabilité » dont parle Boulez, citant le Coup de dès de Mallarmé, dans l’article « Aléa » édité à la fin de 1957 dans le sillage de sa 3e sonate.

Cette volonté, précisée dans le même article, de « rechercher une forme qui ne se fixe pas, une forme évoluante qui se refusera, rebelle, à sa propre répétition » se retrouve curieusement réduite à son état le plus élémentaire dans la problématique des sons Larsen - « sons qui s’accrochent en circuit fermé » écrit encore Pierre henry - et dont il s’agit de se déjouer pour mieux en prendre le contrôle sans pour autant les neutraliser. C’est d’ailleurs à l’effet Larsen que l’on songe à la lecture des lettres adressées par Boulez à Stockhausen en 1954, à l’époque où il réfléchit à sa 3e sonate. Rejetant le caractère totalisant et tautologique de ce qui deviendra l’idée de « formule » développé par son collègue allemand, il écrit : « pour moi, le système ne saurait avoir d’existence propre. Il n’existe que par ce qu’il devient, et ce qu’il devient dépend de chaque instant, d’où etc… ». Faisant face à son nouveau projet de sonate, Boulez use de sa pensée pour se déjouer du non évènementiel et vise à explorer ce qu’il appelle son « vertige du rien ». C’est en somme une pièce où le neutre est en jeu : étonnant paradoxe qui voit l’auteur imprimer sa marque dans cette œuvre dans le temps même où celle-ci aspire à un certain anonymat… Concernant les multiples visages de cette sonate, il écrit dans une autre lettre : « ainsi, l’Œuvre renaît perpétuellement d’elle-même ». Une phrase que l’on peut également rapprocher de ce qui se joue à l’échelle de l’histoire où « les conventions naissent des œuvres autant qu’elles les font naître » et où un « reclassement » s’impose dès lors qu’une œuvre d’une classe nouvelle vient bouleverser l’ordre établi. Aussi, peut-on attribuer à cette épopée humaine qu’est la musique le même propos que celui par lequel Boulez concluait son courrier à Stockhausen : « Création, dès qu’elle est lancée, elle n’a dans son existence plus de FIN ».

Le chef d'orchestre

Carrière

Pierre Boulez est devenu chef d’orchestre moins par vocation première que par nécessité.

C’est pour gagner sa vie, comme il le raconte à Jean Vermeil, qu’il officie aux ondes Martenot d’abord aux Folies Bergère en 1945 puis parmi les musiciens de la fosse du Théâtre Marigny à partir de 1946 sous le patronage de la Compagnie Renaud-Barrault pour y jouer les musiques de scène. Dans le domaine de la direction, son premier maître est Roger Désormière, pour qui la précision et la transparence sont les plus nobles qualités de cet art. En 1953, soucieux de faire entendre la musique moderne dans de bonnes interprétations mais surtout exaspéré par ce qu’il entend ailleurs, « toutes griffes dehors » pour reprendre l'expression de Jean-Louis Barrault, il organise avec ce dernier et sur la base du mécénat privé, les concerts du « Petit Marigny » dans la petite salle du théâtre où sa programmation d'avant-garde va devenir le Domaine musical. Mais la difficulté à trouver des chefs disponibles pour la création contemporaine le contraint à diriger lui-même les œuvres, d'abord pour des petites formations instrumentales. Il commence à diriger des ensembles plus vastes en 1957 à Cologne où Hermann Scherchen non préparé, le laisse diriger son Visage nuptial. En 1958/1959, à la suite de l’invitation pressante d’Heinrich Strobel, directeur de la station de radio du Südwestfunk, il prend résidence à Baden-Baden pour seconder le chef Hans Rosbaud (ce dernier, désormais affaibli par la maladie, y créa Le Marteau sans maître quelques années plus tôt le 18 juin 1955). Boulez le remplacera au pied levé pour de grands concerts orchestraux à Donaueschingen les 17 et 18 octobre 1959 où il entame sa véritable carrière de chef ; carrière qui se poursuivra à la Résidence de La Haye puis au Concertgebouw d’Amsterdam, notamment après la mort de Rosbaud. Elle se confirmera à Paris en 1963 où il se charge d’abord de la commémoration du cinquantenaire du Sacre du printemps, dont l’enregistrement sera récompensé par l'Académie du disque, puis des représentations de Wozzeck dans une brillante prestation qui facilitera son engagement à Bayreuth en 1966 pour la production de Parsifal. Il devient alors de plus en plus difficile pour le jeune chef de refuser les offres qu’on lui propose à la tête des plus grandes formations et les contrats vont désormais s’enchaîner avec l'Orchestre de Cleveland en 1967 puis avec l'Orchestre symphonique de la BBC de 1971 à 1975 en alternance avec l'Orchestre philharmonique de New York de 1971 à 1978 et plus tard avec l'Orchestre symphonique de Chicago en 1995.

À l'automne 2010, une opération à l’œil l'oblige à annuler ses concerts en tant que chef pour plusieurs mois. S'il remonte par la suite à quelques occasions sur un podium, il n'a plus donné de concert depuis 2012.

Fondateur de l'académie du Festival de Lucerne, il met fin à son enseignement en 2015, mais reste directeur artistique de l'Académie.

Répertoire

Son répertoire de prédilection correspond avant tout aux œuvres des compositeurs qui ont nourri son propre imaginaire et qu’il évoque le plus souvent dans ses articles, à savoir Debussy, Stravinski et les musiciens de la seconde école de Vienne : Schönberg, Berg ainsi que Webern dont il enregistre l’intégrale à deux reprises. Boulez est également particulièrement connu pour ses interprétations de Ravel, Bartók et Varèse. Quant à Mahler, peu fréquenté au début de sa carrière, il enregistre en 1970 Das klagende Lied et en 1994 débute l'enregistrement de l'intégrale de ses symphonies. Mais là aussi, l’intérêt qu’il y porte est motivé par ses propres préoccupations de compositeur à l’époque où il enseigne au Collège de France, attribuant aux symphonies mahlériennes « une forme narrative qui crée au fur et à mesure les articulations formelles dont elle a besoin pour progresser et se déterminer », tandis que germe dans son esprit le développement en « spirale » de Répons.

Boulez dirige bien sûr le répertoire plus contemporain comme celui de Luciano Berio, György Ligeti ou Elliott Carter mais il ressent pour cela le besoin d’avoir un ensemble de solistes qui puissent s’adapter à toutes sortes de stylistiques : son contact avec les orchestres et les institutions de la musique à l’étranger, en particulier avec le London Sinfonietta, lui inspire l’idée de l'Ensemble intercontemporain (EIC), crée en 1976, avec l’appui de Michel Guy alors secrétaire d’État aux affaires culturelles. Grâce à son installation dans les locaux de l'Ircam puis plus tard dans ceux de la Cité de la musique, cet ensemble composé d’une trentaine de musiciens collabore étroitement avec les compositeurs et va devenir l’un des plus remarquables en matière d’interprétation des œuvres du XXe siècle et du XXIe siècle, poursuivant et perfectionnant pour ainsi dire l’aventure du Domaine Musical depuis plusieurs décennies.

Après les productions de Wozzeck et de Parsifal, l'intérêt de Boulez pour l'opéra reste vivace. Il enregistre pour CBS Pelléas et Mélisande en 1969 puis Moïse et Aaron en 1975.

Avant Alain Altinoglu en 2015 et après André Cluytens de 1955 à 1958, il est le troisième chef français à avoir été invité à diriger la musique de Wagner au Festival de Bayreuth (Parsifal en 1966, 1967, 1968 et 1970 et Le Ring mis en scène par Patrice Chéreau, de 1976 à 1980). Si, en s'écartant de l'imagerie et de l'interprétation traditionnelles, la mise en scène de Chéreau a causé un scandale lors des premières représentations en 1976, elle a finalement gagné l'assentiment de tout le public du festival, et a été saluée par quatre-vingt-cinq minutes d'applaudissements et cent un levers de rideau lors de la dernière représentation, le 26 août 1980.

En 1979, il crée Lulu d'Alban Berg à l'Opéra de Paris dans la version complétée par Friedrich Cerha. En 1992, Il reprend Pelléas et Mélisande à Cardiff avec le metteur en scène Peter Stein qu'il retrouve en 1995 à Amsterdam pour une nouvelle production de Moïse et Aaron. Puis il dirige de nouveau Parsifal en 2004 dans la mise en scène controversée de Christoph Schlingensief. Interrogé sur les idées iconoclastes de ce dernier, il déclarera « il vaut mieux avoir trop d’imagination que pas assez ».

Dans sa carrière, il lui arrive de collaborer avec des personnalités d’autres domaines artistiques comme les chorégraphes Pina Bausch, Maurice Béjart ou lors du spectacle équestre « Triptyk » de Bartabas. Il dirige également des compositeurs que l’on imagine plus éloignés de son domaine de prédilection comme Frank Zappa ou plus récemment Bruckner, Karol Szymanowski, Leoš Janáček et son opéra « De la maison des morts » pour lequel il retrouve Patrice Chéreau, et même André Jolivet à l’occasion du centenaire de la naissance du compositeur que Boulez avait pourtant surnommé « Joli Navet » dans son irrévérencieuse jeunesse!…

En 1988, dans le cadre du festival d'Avignon, il dirige Répons en plein air à la carrière Boulbon et est le compositeur invité du centre Acanthes, à Villeneuve-lès-Avignon, où il donne une série de cours de direction d'orchestre à de jeunes musiciens. La même année, les thèmes concernant le rythme, la mélodie, le timbre, l’harmonie, le matériau et la forme sont abordés dans une série de six films pédagogiques « Boulez XXe siècle » réalisés par Nat Lilenstein. Soucieux de transmettre son expérience, il dirige également à plusieurs reprises des ensembles tels que l'Orchestre des jeunes Gustav Mahler ou celui de l’Académie du festival de Lucerne qui permettent à des apprentis-musiciens de se familiariser avec le travail collectif et à la vie professionnelle.

Style

Boulez porte un regard de compositeur sur les œuvres qu’il dirige : conscient des procédés d'écriture qui sous-tendent ses propres compositions (souvent élaborées du stade cellulaire, local vers un niveau plus global), il sait faire également le chemin inverse devant les partitions des autres ; son analyse des différents réseaux de structures rythmiques du Sacre du printemps dans « Stravinski demeure » en 1951 a en effet magistralement prouvé sa clairvoyance face au texte musical, sa capacité à en extraire l’essence. Dans l'Encyclopédie pour le XXIe siècle, Boulez conclut ainsi le texte qu’il consacre à son activité de chef d’orchestre : « J’ai la réputation, vraie ou fausse, de n’être que rationalité et logique. Or, je sais pertinemment que ces critères primordiaux de l’objectivité reposent sur l’incertitude inhérente à toute confrontation subjective. Sans ce mystère instable et volatil, la direction d’orchestre serait-elle aussi passionnante ? ». De ce fait, son style de direction, souvent qualifié d'analytique, n’oublie pas que chaque note, chaque accord participe de la beauté de l’œuvre. On peut même ajouter que son style de programmation, souvent conçu chez lui de façon thématique et structurée, donne à chaque œuvre sa raison d’être au sein du concert. « Il faut avoir vis-à-vis de l’œuvre que l'on écoute, que l'on interprète ou que l'on compose, un respect profond devant l'existence même. Comme si c'était une question de vie ou de mort » : en déclarant cela, Pierre Boulez semble aborder chaque œuvre comme un organisme vivant qui préexiste à son incarnation dans les esprits ou dans la salle de concert. À Robert Parienté qui l'interroge sur sa gestique, il explique : «  Plus on bouge, moins les musiciens vous regardent. Tandis que si vous faites peu de gestes et que vous les ciblez bien, les musiciens demeurent attentifs, surtout quand il s'agit d'œuvres contemporaines : la géométrie des gestes est alors capitale ». Face à son pupitre, il n’est pas rare qu’il cesse de battre la mesure, les bras joints le long du corps, donnant l’impression que l’œuvre jouée, telle une entité autonome, n’a plus besoin de lui dans ses moments-là. Mais à l’inverse, dès que l'interprétation perçue s'écarte un peu de sa vision globale de l’œuvre, son oreille absolue réputée infaillible alliée à la rigueur de sa gestique (où la classique baguette est bannie au profit d’une plus grande expressivité de la main) lui permettent aussitôt, ou après un « audit » de la situation dans les cas plus complexes, de remettre sur le droit chemin l’instrumentiste « fautif » : «  Ah, le chef a entendu ! » relate Boulez à Jean-Pierre Changeux.

Compositions

De nombreuses compositions de Pierre Boulez restent en permanence « inachevées » (3e sonate, Livre pour quatuor), d'autres ont subi de nombreux remaniements (Pli selon pli, …explosante-fixe…), certaines ont également été reniées par leur auteur (Polyphonie X). Tout ceci complexifie l'établissement d'un catalogue clair et compréhensible. Ne sont citées ici que les compositions importantes, celles demeurées au catalogue.

  • 12 notations pour piano (1945), ensemble de courtes pièces faisant douze mesures (le chiffre 12 étant une référence au dodécaphonisme).
  • Sonatine pour flûte et piano (1946)
  • 1re sonate pour piano (1946)
  • Le visage nuptial pour voix et orchestre (1946 1re version, 1951 2e version et 1989 version définitive)
  • 2e sonate pour piano (1948)
  • Livre pour quatuor à cordes (1949 révisé en 2011-2012) (orchestré partiellement sous le nom de Livre pour cordes)
  • Le soleil des eaux pour voix et orchestre (1950-1965)
  • Structures I pour deux pianos (1951)
  • Polyphonie X pour orchestre (1951)
  • Le Marteau sans maître pour voix et six instruments (1954)
  • 3e sonate pour piano (1956-1957)
  • Structures II pour deux pianos (1956-1961)
  • Pli selon pli pour soprano et orchestre (1957-1962, importante révision de Improvisation III en 1989), constitué de Don, Improvisations sur Mallarmé I-III et Tombeau.
  • Figures-Doubles-Prismes pour orchestre (1957-1968)
  • Poésie pour pouvoir pour récitant, orchestre et bande magnétique (1958)
  • Éclat/Multiples (1965-1970)
  • Domaines (1968) versions pour clarinette seule et pour clarinette et ensemble
  • …explosante/fixe… œuvre « ouverte » à la mémoire d'Igor Stravinski, ayant existé sous diverses versions depuis 1972, la dernière en date étant pour flûtes, orchestre et dispositif électronique 1991-1993
  • cummings ist der dichter133,134 pour chœur et orchestre, sur des textes du recueil Poems 1932-1954 de E. E. Cummings (1970, révision en 1986)
  • Rituel in memoriam Bruno Maderna (1974-1975) pour orchestre en huit groupes
  • Messagesquisse (1976-1977) pour violoncelle solo et six violoncelles, dédié à Paul Sacher
  • Notations pour orchestre (dérivées des Notations pour piano). Cinq de ces pièces ont été élargies : I-IV (1980) et VII (1998)
  • Répons pour six solistes, orchestre et dispositif électronique (1981-1988)
  • Dérive pour 6 instruments (1984)
  • Dialogue de l'ombre double pour clarinette et dispositif électronique (1985)
  • Mémoriale pour ensemble (1985) (dérivé de …explosante-fixe…)
  • Dérive 2 pour onze instruments (1988/2002)
  • Anthèmes pour violon seul (1991) (dérivé également de …explosante-fixe…)
  • Incises pour piano (1994/2001)
  • Sur incises (1996/1998) pour 3 pianos, 3 harpes et 3 percussions-claviers
  • Anthèmes 2 (1997/2008) pour violon et dispositif électronique
  • Une page d'éphéméride (2005) pour piano
  • Dialogue de l'ombre double (version autorisée pour flûte à bec, Erik Bosgraaf 1985 / 2015)

Écrits

  • Penser la musique aujourd'hui, 1963
  • Relevés d'apprenti, Le Seuil, Collection " Tel Quel ", 1966
  • Par volonté et par hasard, entretiens avec Célestin Deliège, Le Seuil, 1975
  • Jalons (pour une décennie) : dix ans d'enseignement au Collège de France (1978- 1988). Textes réunis et présentés par J.J. Nattiez, préface posthume de Michel Foucault, Paris, Christian Bourgois, Coll. Musique/Passé/Présent, 1989, 452 p.
  • Le pays fertile - Paul Klee, Gallimard, 1989
  • Correspondance, Pierre Boulez/John Cage, Christian Bourgois, 1991
  • Eclats 2002, Entretiens avec Claude Samuel, Mémoire du livre.
  • Points de repère, en trois tomes reprenant et complétant les textes des Relevés d'apprenti et de Jalons (pour une décennie) : I - Imaginer, II - Regards sur autrui, III - Leçons de musique, Christian Bourgois
  • Les Neurones enchantés - Le cerveau et la musique, Entretiens avec Jean-Pierre Changeux et Philippe Manoury, Odile Jacob, 2014
  • Entretiens de Pierre Boulez avec Gérard Akoka, Minerve, 2015

Discographie

En tant qu'interprète
  • Œuvres orchestrales ou concertantes de Bartók, Beethoven, Berio, Berlioz, Debussy, Dukas, Falla, Haendel, Messiaen, Mozart, Ravel, Roussel, Schoenberg, Stravinski, Szymanowski, Varèse, Wagner (Adès, CBS/Sony, EMI, Erato et/ou DG).
  • Bartók, Le Château de Barbe-Bleue (CBS/Sony et DG).
  • Berg, Lulu (DG) ; Wozzeck (CBS/Sony) ; Der Wein, Sieben frühe Lieder et autres Lieder avec Jessye Norman (Sony).
  • Berlioz, Cléopâtre, Les Nuits d'été (CBS/Sony) ; Roméo et Juliette, Tristia (DG).
  • Bruckner, Symphonie no 8 (DG).
  • Debussy, Pelléas et Mélisande (CBS/Sony et DG).
  • Mahler, Das klagende Lied (CBS/Sony) ; intégrale des symphonies, Le Chant de la terre (DG).
  • Ravel, Mélodies avec orchestre (CBS/Sony).
  • Schoenberg, L'œuvre chorale, Gurre-Lieder, Pierrot lunaire, Erwartung, Moïse et Aaron (CBS/Sony et/ou DG).
  • Stravinski, Les Noces et autres œuvres chorales (Guilde Internationale du Disque).
  • Wagner, La Cène des apôtres (CBS/Sony) ; Parsifal (DG) ; L'Anneau du Nibelung (Philips).
  • Webern, intégrale des œuvres (CBS/Sony et DG).

Prix et distinctions

 
  • Membre de l'Académie européenne des sciences et des arts
  • Membre de l'Académie des arts de Berlin (1963)
  • Ernst von Siemens Music Prize 1979, Allemagne
  • Sonning Award 1985, Danemark
  • Polar Music Prize 1996, Suède
  • Wolf Prize 2000, Israël
  • Grawemeyer Award 2001, États-Unis (pour Sur incises)
  • Prix Glenn Gould 2002, Canada
  • Yale University's Sanford Medal
  • Médaille d'Or du Círculo de Bellas Artes (2007)
  • Kyoto Prize 2009 (arts et philosophie)
  • Edison Award 2010 (musique classique)
  • Robert Schumann 2012 (AdW-Mainz, Allemagne)
  • Citoyen d’honneur de la Ville de Baden-Baden, le titre lui étant remis le 18 janvier 2015 (et citoyen d’honneur en Allemagne depuis le 15 décembre 2014). Nommé également membre d'honneur de l'Orchestre symphonique de la radio de Baden-Baden et Freiburg, le 24 janvier 2015.
  • Prix Bach de la Ville libre et hanséatique de Hambourg, 2015

 

Sources: wikipedia.org

Pas de lieux

    loading...

        Rapports

        NomLienDate de naissanceDate de décèsDescription

        Aucun événement fixés

        Mots clés